Aujourd'hui
François Alix. 57 ans. Naguère opposant n°1 au projet de Naturascope, porté par René Monory. Aujourd’hui sculpteur sur fer à Verrue, dans le Nord-Vienne. En quête de reconnaissance et d’accomplissement. Personnage bouillonnant et attachant. Signe particulier : gouverné par ses émotions et ses envies.
Pendant près de vingt ans, il a vendu des livres anciens aux grands de ce monde. Mais il se refuse à écrire un livre d’ancien. « Je n’écris pas ma vie, je la vis. » Pourtant, ses potes l’encouragent à coucher sur le papier ses histoires à dormir debout. L’autobiographie tiendrait du roman. Elle pourrait s’appeler Mes amis, mes amours, mes emmerdes. « Je ne voyage pas léger, je suis un peu cabossé », reconnaît François Alix. A 57 piges, il vit depuis deux ans et demi dans un « squat », le long de la RD347, à Verrue, entre Mirebeau et Loudun. Loin de tout. L’endroit fut jadis une boîte de nuit, Le Scévolles 147, puis un atelier de taille de pierre.
Aujourd’hui, le domaine de 4 hectares abrite des caravanes, de vieilles bagnoles, des vélos, et des sculptures. A perte de vue. Signées du maître des lieux. « Cet endroit s’appelle Magic Hortus ». Certains font la comparaison avec Le Palais idéal du Facteur Cheval. De temps en temps, les voitures klaxonnent au passage du dragon de fer installé le long du grillage. L’œuvre, monumentale, se compose de vieux vélos et de roues assemblées. Il y a aussi une Cadillac Séville à la verticale, clin d’œil assumé à la Cadillac Ranch de la fameuse route 66. « Homme du passé » assumé, le trublion au regard vif s’efforce de se construire ici un avenir dans un lieu qu’il imagine « pluriculturel, festif et joyeux ». Il sait qu’« une histoire est en train de naître » même s’il ignore encore où elle la mènera. Sa « peur de la mort » l’enjoint à presser le pas.
Nouveau chapitre
François Alix est revenu aux portes de la forêt de Scévolles, après quasiment un quinquennat sur les bords du Léman, à Genève. Il a quitté une vie confortable, disons politiquement correct, pour entamer un nouveau chapitre d’ascétisme. « C’est toujours comme ça, souffle-t-il. Pourquoi j’arrête le foot à 19 ans alors que je suis peut-être au début d’une carrière ? Pourquoi j’arrête la librairie alors que je vends des livres dans le monde entier à des gens très connus et très riches (Umberto Ecco, Alain Rey, Jean-Claude Carrière, François Mitterrand, Bill Gates, Johnny Depp..., ndlr) ? » A vrai dire, l’ancien « libraire en chambre » n’est jamais là où on l’attend. Comme insaisissable. Sa mère disait de lui qu’il donnait des coups de pied dans la lune.
« Arriver à donner une poésie à cette matière froide et brute, j’adore ça »
Gouverné par ses seules émotions et envies, le fils d’agriculteurs chinonais avance tel un bulldozer. Ceux-là mêmes contre lesquels il s’est battu au début des années 2000, alors que René Monory tentait d’imposer son projet de Naturascope en forêt de Scévolles. « C’était peut-être la première Zad de France à l’époque ! » Avec ses proches, dont beaucoup de notables du Loudunais, Alix a fait plier le Shérif. « Je savais que nous allions gagner car le bon sens était de notre côté. » Lors de l’une de ses nombreuses rencontres avec l’ancien président du Département, le porte-parole des opposants lui a asséné ceci : « Je vous prenais pour quelqu’un de sensé, pourquoi faites-vous un projet insensé ? » Le combat, gagné de haute lutte, a laissé des traces. Dans l’affaire, le père de deux trentenaires -dont Johnny Bionic- a perdu « sa librairie, sa femme, sa maison, quelques amis ». Et, encore aujourd’hui, sa seule présence dérange dans le Loudunais. « Pour les gens de droite, j’étais un gauchiste absolu, pour les gens de gauche un mec de droite qui défendait ses intérêts. »
Crever pour vivre
Le « Natu » a vécu, lui aussi. Et après avoir croisé le fer avec Monory, il le sculpte, avec « Led Zep à fond la gomme ». Jusqu’à 15 heures par jour ! La ferraille lui permet d’« expier deux-trois trucs ». « Arriver à donner une poésie à cette matière froide et brute, j’adore ça. Je suis dans le dur, dans tous les sens du terme. » Dans le dur mais quand même entouré. Le « bibliogre » distille ses conseils avisés à des réalisateurs. Il a ainsi collaboré sur le Van Gogh de Piala, le J’accuse de Polanski ou encore Eiffel de Bourboulon, dont la sortie est prévue en mai 2021. Au-delà du cinéma, l’autodidacte conserve un cercle de fidèles et aimante aussi la jeune génération. Trois étudiants s’occupent de ses réseaux sociaux et projettent de tourner un documentaire de 52 minutes sur sa vie. « lls m’ont même créé une page Wikipédia ! » Son jardin imaginaire et poétique ne demande qu’à se transformer en agora culturelle. Lui ne dirait pas non à une expo dans la salle des Pas Perdus, à Poitiers. Encore une façon d’expurger le passé. Alix se reconnaît volontiers dans la bio du comédien Klaus Kinski, Crever pour vivre. Mais on vous a prévenus, il n’écrira pas la sienne.
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