Dans le camp de la honte

Entre 1940 et 1943, André Fernandez et ses proches ont vécu dans le fameux camp d’internement de la route de Limoges, auquel une expo est consacrée aux archives départementales(*).

Arnault Varanne

Le7.info

Dans sa modeste maison de la route de Vouillé, à Neuville, André Fernandez se met à table sans qu’on le lui demande. sa carte d’interné politique dans une main, de vieilles photos familiales dans l’autre, ce fils d’immigré espagnol raconte ses années d’adolescent dans le camp de la route de Limoges, puis dans celui de Montreuil-Bellay. «À 10 ans, tu parles qu’on faisait de la politique. Et puis quoi encore!» Sept décennies ont passé, mais le « voyageur » s’émeut encore et toujours de la façon dont sa famille et lui-même ont été traités pendant la Seconde Guerre mondiale. « Un jour, j’ai pris un coup de pied au derrière par un gendarme français, alors que j’essayais d’attraper un petit moineau derrière les barbelés. » Même humiliation lorsqu’André a piqué des pommes de terre, avec un fil de fer passé dans son pantalon.

Manque de chance, quelques patates ont roulé juste devant le bureau des gardiens. « Ma mère leur a dit : « Si mon fils vole des patates, c’est qu’il crève la dalle ! » Mais ils n’ont rien voulu entendre. Le matin, on avalait une ration de malt préparée dans une grande chaudière. Même les cochons n’en auraient pas voulu. Et le midi, c’était soupe de topinambour, betterave et rutabaga. » La faim, le froid, l’incertitude... Les Fernandez ??ont tout connu. Les rares rayons de soleil dans ce ciel noir furent à mettre au crédit du père Jean Fleury. Un « homme extraordinaire, comme on n’en fait plus ! Il nous amenait, d’autre gosses et moi, à l’extérieur du camp. On s’amusait et on mangeait des tartines de pain avec de la confiture. »

Les gardiens français, des salauds !

Trois longues années ont passé, jusqu’au transfert des Fernandez au camp de Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire. Dans des conditions aussi détestables. « Les gardiens français étaient des salauds, pire que les SS ! » Là-bas, André a « goûté » au gnouf à quelques reprises. Puis vint la Libération par les forces françaises de l’intérieur, fin mai 45. « Le plus beau jour de ma vie. » André, sa mère, son frère et ses trois sœurs ont marché non-stop jusqu’à Mirebeau, où ils ont retrouvé le patriarche, interné à Neuville.

Au total, 11 500 personnes sont passées par les camps de la Vienne (route de Limoges, Rouillé et la Chauvinerie), entre 1939 et 1945. Des réfugiés espagnols, tsiganes, internés politiques, détenus de droit commun, ainsi que des Juifs (42% du total). Beaucoup ont ensuite connu la déportation. « Ils n’étaient pas dans les mêmes baraquements que nous. On voyait des camions arriver puis repartir », témoigne André Fernandez. Qui parle aussi au nom des disparus. « C’est mon devoir de mémoire. »

(*) Des camps dans la Vienne, 1939-1945, l’internement des civils. Exposition à découvrir jusqu’au 22 vril, aux Archives départementales, 30, rue des Champs-Balais, à Poitiers. Une série de conférences rythmera les mois à venir. La prochaine, le 17 février, à 18h30 : « Les politiques de répression et de déportation depuis la France entre 1939 et 1944 », par l’historien Thomas Fontaine.

Programme complet sur www.archives.departementales86.fr

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