Numéro 85

Thierry P. 57 ans. Ancien membre du Groupe de sécurité de la présidence de la République. A veillé pendant près de dix-huit ans sur François Mitterrand et Jacques Chirac. Gendarme d’élite à la retraite, devenu consultant en sécurité dans le civil, il mène aujourd’hui une vie tranquille dans le Nord-Vienne.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

Le père de famille reçoit dans le salon de sa maison cossue du Nord-Vienne. Jeans, t-shirt, barbe de trois jours... Le look est détendu, à mille lieues de celui qu’il a arboré pendant près de trente ans. Le café est servi. Thierry ouvre le livre de sa vie et entame la lecture.

Issu d’une famille « ordinaire », le natif de La Rochelle grandit entre sa région d’origine et l’Ile-de-France, où son père est muté dans le cadre de son travail aux PTT. Après une adolescence « très agréable », Thierry passe un bac technique F1, le rate et se présente à la gendarmerie de Saintes pour y effectuer son service militaire. « J’avais besoin de concret. » Il tente ensuite le concours de gendarme, l’obtient et suit « un cursus normal » au sein de l’escadron de gendarmerie mobile de Bordeaux Bouliac. Jusqu’en 1985. « Je voulais rentrer au GIGN. » Grand sportif et surmotivé, il échoue une première fois, avant de repasser les tests pour intégrer le Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR, une branche du GIGN), sous le matricule « 85 ». Une nouvelle vie. Toute sa vie.

En première ligne

Sur la table en bois du salon, Thierry fait le tri dans les photos d’époque. Il y a celles avec François Mitterrand, d’autres avec Jacques Chirac et d’autres encore avec ses « camarades », prises lors de stages commando. Les souvenirs de dix-huit ans de carrière au GSPR. De 1985 à 2003, le Rochelais d’origine a assuré la protection rapprochée de deux chefs de l’Etat et de leurs proches. Son « travail stressant mais passionnant » lui a permis de parcourir la France entière et des dizaines de pays, dans lesquels le Président se déplaçait. Des deux décennies passées au GSPR, Thierry retient quelques anecdotes, comme ce trajet en voiture avec Mitterrand entre Biarritz et Soustons au cours duquel le « Sphinx », assis à ses côtés, engageait la conversation sur la météo et la beauté des paysages. Ou ce déplacement officiel à Ankara, où Thierry s’est mué en guide touristique en répondant à une question du président socialiste sur l’altitude de la ville turque. « Nous n’avions que peu d’échanges avec les Présidents, mais ils étaient à chaque fois très chaleureux. » Cette hyper proximité lui imposait par ailleurs une confidentialité absolue. « En service, nous devions faire la sourde oreille sur ce que nous entendions. Lorsque l’affaire Mazarine a éclaté, mes parents m’ont téléphoné pour me demander si j’étais au courant. Bien sûr que je l’étais, mais je ne pouvais rien dire. À personne. »

Avec beaucoup de nostalgie dans la voix, Thierry évoque ses centaines de missions, toutes assurées avec succès. « Nous étions l’un des meilleurs groupes de sécurité rapprochée au monde, souligne-t-il. En dix-huit ans, il n’y a jamais eu d’incident majeur. » Ce sans-faute, Thierry et ses camarades le doivent à leur professionnalisme et leur sens de l’anticipation des dangers. « Peu de gens le savent, mais nous partions en repérage deux semaines avant chaque déplacement officiel. Nous avions des automatismes et prêtions attention à tous les détails. Si le Président avait été visé par une attaque, nous aurions tous donné notre vie pour protéger la sienne. » Aujourd’hui encore, le gendarme d’élite ne peut s’empêcher de tout surveiller. « J’ai un petit côté parano, qui agace souvent ma femme ! »

« Il me manque quelque chose »

Jusqu’en 2003, son dévouement total pour le GSPR a souvent fait passer sa vie de famille au second plan. Marié et père de trois enfants, Thierry « regrette de n’avoir pas été assez présent au quotidien ». Parmi ses camarades, il est aujourd’hui « l’un des seuls à vivre encore avec (son) épouse ». Preuve que le métier de gendarme d’élite implique tous les sacrifices. Depuis qu’il a raccroché ses galons, Thierry a déménagé dans le Nord-Vienne, enseigné pendant deux ans à l’école de gendarmerie de Châtellerault, avant de céder aux sirènes du civil. « J’ai assuré plusieurs missions en Libye, au Liban et dans certaines entreprises françaises, avant d’accepter un poste de garde du corps du PDG d’un grand groupe en 2006. » Dix ans durant, l’ex-militaire a assuré, « une semaine sur deux », la sécurité de l’un des plus grands patrons français, le suivant aux quatre coins du monde, « dans des hôtels cinq ou six étoiles ». « Ce PDG était très sympa, mais je ne prenais pas vraiment de plaisir à faire mon job. Parce que j’étais seul. »

Depuis mai dernier, Thierry consacre la majeure partie de son temps à sa famille. « Je retrouve mes filles, mon fils, mon épouse. C’est formidable. Mais j’ai toujours l’impression qu’il me manque quelque chose. Peut-être parce que, jusqu’à présent, je n’ai jamais cessé de bouger. » Il ne peut s’empêcher de ressasser ses années au GSPR. « Je regrette d’être parti si tôt », lâche-t-il. À bientôt 58 ans, le « numéro 85 » serait prêt à rempiler si on venait le chercher. « Mais je suis trop vieux et la nouvelle génération a un rôle bien plus difficile avec la menace terroriste. » Thierry a connu son heure de gloire et s’efforce désormais de passer à autre chose. Repos.

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