« Des cours de philo dès la 6e »

Dans le cadre de l’Université du Futur, le philosophe Raphaël Enthoven animera demain, à Poitiers, une conférence sur la place des humanités dans le nouveau monde numérique. Dans le précédent numéro du 7, il dévoilait ses ambitions pour l’éducation de demain. Retrouvez ici cette interview...

Romain Mudrak

Le7.info

L’Université du Futur s’intéresse à l’éducation. Que vous inspire ce thème ?
« L’Université du Futur a raison de s’interroger sur l’éducation de demain. Quelles seront les compétences utiles au XXIe siècle ? D’abord la créativité comme disposition du caractère qu’on peut choisir d’entretenir ou d’endormir. La pensée critique, en revanche, s’acquiert par la confrontation et la capacité à penser contre soi-même (avant de s’attaquer aux autres). Elle repose sur l’idée qu’aucune théorie n’est recevable si elle se rend hermétique aux objections qu’on lui adresse. Or, c’est à l’école (ou dans l’agora) qu’on l’apprend. Mais c’est un exercice délicat et indéfiniment menacé par la tentation de prendre son opinion pour une vérité révélée. Faire vivre la pensée critique à l’époque où les outils flattent en chacun le sentiment de détenir la vérité est à la fois un enjeu de liberté et une tâche infinie. Quant à l’expression orale, elle est essentielle en démocratie, puisque la vérité, que nul ne détient, passe après la force de persuasion. Et, là aussi, elle s’apprend. »

Le numérique peut-il être un support à l’apprentissage des humanités ?
« Il l’est déjà ! Quelle merveille d’avoir sous la main des éditions complètes où l’on se promène à la vitesse de la lumière ! Quelle joie d’accéder en un clic aux manuscrits de Flaubert ou au paragraphe dont on a besoin... Pourquoi se priver d’outils de cette nature ? Il faut avoir oublié l’époque des polycopiés pour tenir le numérique pour une régression... Reste qu’évidemment, c’est un outil ambivalent. Le développement du numérique donne aussi aux faussaires, dont les hypothèses sont souvent plus séduisantes que la vérité des faits, une audience inespérée. Et il donne des ailes à la tentation toujours vivace de ne croiser que des gens qui sont du même avis que soi. L’extension du savoir que permet le numérique n’est pas toujours, loin s’en faut, une extension des compétences. »

Que feriez-vous si vous étiez ministre de l’Education nationale ?
« S’il ne dépendait que de moi de le faire, j’instaurerais des cours de philo obligatoires dès la 6e, j’augmenterais le nombre de postes à l’agrégation, j’augmenterais les salaires des professeurs en ZEP et je ferais de « l’histoire des religions » une épreuve du bac. Sinon, je ferais, en moins bien, la même chose que Jean-Michel Blanquer, hormis sa réforme du bac. Et je dirais certainement la même chose que lui sur les questions de laïcité. »

Comment faites-vous pour décrocher vos enfants des écrans et les inciter à lire et à s’ouvrir l’esprit ?
« J’ai trop d’enfants pour leur interdire quoi que ce soit et les surveiller en permanence. Je suis contraint au libéralisme par le débordement. Donc je n’interdis rien. Je parie lâchement sur la victoire du plus profond (c’est- à-dire le livre) sur le plus brillant (l’écran). Jusqu’ici, tout va bien. Aucun d’eux ne fait un mauvais usage de la liberté que je lui accorde. Il faut croire que par l’exemple, on est plus convaincant que par la contrainte. »

L'Université du Futur est une initiative de la Région Nouvelle-Aquitaine. Programme et inscription obligatoire sur u-futur.org

À lire aussi ...