Guy Zire, machine à tubes

Guy Zire, alias Machynist. 31 ans. Originaire de la région parisienne mais Poitevin de cœur. Après des années de galère à Saint-Eloi, ses morceaux pour la chanteuse Aya Nakamura rencontrent aujourd’hui un immense succès. Membre du collectif Le Side, il compose aussi pour d’autres artistes du label Universal Music.

Steve Henot

Le7.info

Djadja, c’est lui. Pookie, encore lui. Et Doudou aussi… Avec ses comparses beatmakers du collectif Le Side (Aloïs Zandry et Yohan « Some1ne » Batantou), Guy Zire signe depuis plus de trois ans les instrus des tubes d’Aya Nakamura. Impossible d’échapper au phénomène « afro pop » français : les clips de la chanteuse ont récemment dépassé les deux milliards de vues sur YouTube et son dernier album, Aya, a été téléchargé plus de douze millions de fois sur la plateforme Spotify, quatre jours seulement après sa sortie.

On l’aurait prévenu d’un tel engouement que Guy, de son pseudo Machynist, n’y aurait pas cru. « On n’a pas trop calculé, les mélodies viennent toutes seules, confie le beatmaker de 31 ans. Sur Djadja, on n’était pas très chaud au départ. C’est Vladimir Boudnikoff qui nous a poussés dans cette direction. Quand on lui a envoyé la nouvelle version, Aya a pété un câble, un truc de fou ! » L’entêtante mélodie de Pookie naîtra, elle, d’une expérimentation de voix liée, avec la basse acoustique d’Alain-Pierre Berwa, dit « Ever Mihigo ». Le succès tient à peu de choses. « Ce n’est pas un accident, mais il n’y a pas de recette non plus, assure Guy. Il ne sert à rien de se mettre la pression en studio. Le plus important, c’est d’avoir une bonne énergie et de kiffer. »

Depuis Djadja, les gars du Side figurent parmi les compositeurs les plus prisés de la scène française. Ils ont signé avec le géant Universal Music, qui leur demande régulièrement de composer pour d’autres artistes de son giron. De Louane à Niska, en passant par Eddy de Pretto. « C’est une chance, les gens de l’industrie nous connaissent désormais, savoure Guy. Ce qui m’intéresse, c’est la reconnaissance du milieu. Et je ne vais pas te mentir, l’argent que je gagne aujourd’hui change ma vie. »

Repéré sur les réseaux sociaux

Cette fulgurante ascension prend racine à… Poitiers. Ado, le natif de Puteaux (Hauts-de-Seine) passait ses étés dans le quartier de Saint-Eloi, en vacances chez sa tante. Proche de ses cousins et cousines, Guy décide de s’y installer à ses 20 ans. D’un naturel « facile », il fait rapidement de nouvelles connaissances qui l’amènent… dans le milieu du rap poitevin. Une découverte. « Chez mes parents, c’était Mike Brant, Michael Jackson, Dave, pas mal de variété française… J’écoutais beaucoup de musiques, pas plus qu’une personne lambda. Mais j’étais déjà intrigué par les mélodies, l’instrumental. »

On l’initie à la composition sur ordinateur. Il y prend goût, s’y consacre même des journées entières, dans l’appartement de son ami Sow. Aux dépens du reste. « On mangeait de la me***. Il nous est arrivé de n’avoir que 3 à 5€ pour nous acheter à manger. » Sans diplôme ni ressources, Guy finit par accepter un job d’animateur périscolaire, puis un autre dans une station d’épuration. Mais la musique lui manque, le rattrape. Il se donne alors un an pour percer. Un soir, las d’attendre son heure, il décide de poster un ultime morceau sur Instagram en y « tagguant » le beatmaker américain Ayo. « Comme une dernière chance. » La publication est virale, commentée et partagée comme jamais. Echo vertigineux. En privé, Guy reçoit les encouragements d’Ayo. « Ses messages m’ont donné de la force, c’est tout ce que je demandais. »

En 2017, ses instrus sont repérés sur Facebook par Vladimir Boudnikoff. Le producteur franco-russe l’invite alors pour un « séminaire » d’auteurs et compositeurs, dans une villa en Corse. C’est là que Guy rencontre les autres membres du Side. L’alchimie est immédiate, évidente, et la semaine studieuse. Dix jours après cette résidence, Vladimir Boudnikoff rappelle Guy pour poursuivre le travail entamé sur Paris et débuter la collaboration avec sa protégée, Aya Nakamura… La suite, on la connaît. « Mon parcours, c’est 80% de chance. Et des rencontres. »

Vers un retour sur Poitiers

En à peine six mois, Guy a changé de monde. Jusqu’alors il n’était jamais parvenu à aller au bout de ses formations, en mécanique informatisée d’abord, en CAP cuisine ensuite. Pas plus dans le football, où il rêvait pourtant d’une carrière de joueur pro. « Je suis vite saoulé des choses », confesse l’ancien milieu défensif du Conflans FC, fervent supporter du Paris Saint-Germain. La musique, elle, est restée. Elle lui a d’ailleurs permis de réaliser l’un de ses rêves : voyager à Los Angeles. « C’était pour le clip Geronimo, de Oboy, se souvient-il. Comme j’ai souvent des poisses, j’ai eu peur jusqu’au dernier moment que le tournage soit annulé. Mais une fois là-bas, j’ai pété les plombs. C’était comme dans GTA, tu reconnais toutes les rues… On a même tourné sur Hollywood Boulevard ! » Aujourd’hui, il aimerait se rendre en Côte d’Ivoire, terre de ses racines familiales. « Tout le monde y est allé, sauf moi, sourit Guy. J’ai envie de voir où mes parents ont vécu et aussi, si le pays est tel qu’on me l’a décrit. » En particulier les soirées de fête à Abidjan.

A Saint-Eloi, le jeune trentenaire a laissé le souvenir d’un musicien humble et discret. S’il n’y revient plus que « sur des coups de tête », Guy est resté très attaché à Poitiers, dont il loue « l’ambiance et le calme ». Lui et sa compagne, originaire de Jaunay-Marigny, songent à y acheter une maison, loin de l'agitation francilienne. « Paris n’est qu’à trois heures de route, moitié moins par le train. En m’organisant bien, ça pourrait se faire. » Il en faudra davantage pour enrayer la nouvelle machine à tubes.

DR - Sandra Gomes/@1993initiales

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