Violences sexuelles - Le sport face à ses vieux démons

Une enquête menée par des étudiants poitevins sur 130 athlètes aspirant au haut niveau démontre que beaucoup ont été confidents, témoins ou victimes de violences sexuelles. Egalement interrogés, les clubs restent relativement impuissants. Une journée spéciale est prévue jeudi en public.

Romain Mudrak

Le7.info

Pendant plusieurs semaines, des étudiants en master de management du sport en Staps à Poitiers ont mené des entretiens auprès d’athlètes confirmés, hommes et femmes, sur la voie du haut niveau. Ils ne sont pas tous de la Vienne, mais plutôt du Grand-Ouest et d’Ile-de-France. Le thème ? Les violences sexuelles dans le sport. Aidés d’une grille d’entretien précise et briefés par leur enseignante sur l’aspect traumatisant des histoires qu’ils pourraient entendre, tous sont allés très loin dans leurs investigations. Résultat, plus d’un tiers des 133 personnes interrogées déclarent avoir été victimes d’agressions sexuelles à l’adolescence (61% si on ajoute les confidents et les témoins).

Deux ans après les révélations de la patineuse Sarah Abitbol, violée à 15 ans par son entraîneur, cette enquête démontre que toutes les fédérations et tous les niveaux sont concernés. Début mars, la ministre des Sports Roxana Maracineanu a évoqué plus 600 signalements en 2020 et 2021 : des propos humiliants, sexistes, des gestes inappropriés et répétés, jusqu’aux abus sexuels caractérisés que les victimes ne distinguent pas tout de suite et ne dénoncent quasiment jamais sur le moment. « La parole se libère peu à peu, c’est une bonne chose, nuance Emilie Giret, maître de conférences en sociologie du sport. Mais il faut avoir conscience de l’emprise qu’ont les entraîneurs sur ces jeunes qui rêvent de réussir. » 
L’ex-nageuse de bon niveau sait combien les athlètes ont 
« l’habitude d’être malmenés, contorsionnés et de cacher leurs douleurs pour participer à la compétition du week-end ».

Agressions entre joueurs

Cette étude démontre que les agressions apparaissent en général lorsque la pratique de la discipline amène les jeunes à s’éloigner de leurs parents. Les vestiaires sont des lieux propices, mais pas seulement. Parfois, c’est une voiture partagée avec son coach pour réduire le prix du trajet vers un tournoi. D’autres fois, c’est un appartement. « Au niveau des hébergements, on a des problématiques financières, témoigne la présidente d’un club de canoë-kayak. Les entraîneurs logent avec les sportifs pour réduire les coûts. On part souvent plusieurs jours. » Et il arrive que des athlètes agressent d’autres athlètes… Quand les places sont chères, certains considèrent que tous les coups sont permis. 
« Le sport, c’est le dépassement de soi, le travail pour atteindre des objectifs, mais pour certains c’est aussi écraser les autres, les dominer pour être le plus fort », raconte Vincent Duhagon. Pour l’ex-réceptionneur-attaquant du Stade poitevin volley-ball, « c’est important que les gamins aient des garde-fous ». Lui se souvient d’ailleurs que les bizutages étaient monnaie courante durant sa formation : « On peut dire que c’est normal dans le sport, que ça existe depuis toujours, mais non, il faut mettre des mots de droit sur ces pratiques. »

Dans la plupart des cas, les agresseurs sont des hommes. En revanche, les victimes ne sont pas que des jeunes femmes. Le documentaire du journaliste Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac(*) l’explique bien. Il a été montré à tous les étudiants de Staps ayant participé à l’étude. 
« Il faut arrêter de croire qu’il ne se passe rien dans le club parce qu’il n’y a pas de fille », insiste Emilie Giret. A la rentrée prochaine, elle souhaite réaliser des fiches actions avec une nouvelle génération d’étudiants qui iront « prêcher » la bonne parole lors de leur stage. Il reste du boulot !
La moitié des 70 présidents de clubs interrogés considèrent ne pas être concernés (lire page 4). 
La plupart n’ont rien mis en place en termes de prévention.

(*)Violences sexuelles dans le sport, l’enquête (2019), encore disponible sur la chaîne Youtube d’Arte.

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Vincent Duhagon est l'invité de l'émission 7 à la Une cette semaine :

 

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