Aujourd'hui
Bertrand Cherrier. 66 ans. Prêtre. Educateur. Natif de Beaugency. Arrivé à Buxerolles il y a cinq ans. A failli devenir footballeur professionnel. Iconoclaste. Signe particulier : s’attache davantage au temps qu’il fait qu’au temps qui passe.
Il a rencontré le Pape à Rome il y a dix jours. C’était la première fois, peut-être la dernière. Moment fugace avec François, une poignée de main et quelques mots échangés. Lui l’homme de l’Eglise « d’en bas » face au souverain pontife tout en haut de la pyramide ! « Je l’aime bien, on sent qu’il est tiraillé entre différents courants. Mais il a fait avancer les choses, il est ouvert sur le monde », assure Bertrand Cherrier. Croix autour du cou et sourire aux lèvres, le curé parle cash et sans langue de bois. L’affaire de l’abbé Pierre ? « Avec toutes les casseroles qu’on se traîne... Et dire que l’Eglise savait. » Les débats politiques à la télé ? « Dans mon tiercé des confessions, la médisance est numéro 1. Maintenant, on ne se cache plus. » Le fils d’agriculteur et de mère-de-famille-devenue-maire (de Beaugency) sait d’où il vient et où il va. Dans dix ans, il s’imagine « consacrer plus de temps au silence ».
En attendant, le prêtre « à mi-temps », rattaché à la paroisse de Buxerolles, dialogue. Un peu, beaucoup, passionnément. Notamment avec les collégiens et lycéens de Saint-Jacques-de-Compostelle qui osent toutes les semaines franchir la porte du foyer pastoral. « Pas tous cathos » mais en quête de sens. Celui-là même que l’enfant de la Beauce a forgé au fil d’une existence mue par « la simplicité et le désir d’être à sa place ». « J’aime trouver ça chez les autres. Un patriarche orthodoxe disait « j’ai renoncé aux comparatifs ». Moi aussi. C’est ça le bonheur, non ? » Il a bien conscience que « rien n’est jamais figé » et déteste au passage qu’on lui dise qu’il n’a pas changé. « Pour moi, ce n’est pas un compliment, je n’aspire qu’à changer, apprendre. J’ai trop goût à la vie pour me contenter de ce que je sais d’elle. »
« Milieu à la Deschamps »
Quand on a vécu sept ans avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête -un lymphome-, on savoure davantage la phase de rémission, l’après. « Les journées ont plus de vérité. » Une année de repos complète a rasséréné ce « gagneur » assumé. L’héritage de ses années foot, débutées du côté de Beaugency, avec des détours par Mer, Blois -en 3e division- et... les Girondins de Bordeaux. En Gironde, le milieu de terrain « à la Deschamps » a fait deux ans au centre de formation, on lui a proposé une troisième saison, synonyme de possible carrière professionnelle. Il a renoncé.
« Etre en vie, c’est une chose, avoir la vie en soi c’est mieux. »
« J’aimais trop d’autres choses, les engagements éducatifs entre autres. » Ce qui ne l’a pas empêché de continuer à jouer, puis à entraîner en 4e division, avant de rentrer dans les ordres à 28 ans. De footballeur à prêtre, la trajectoire peut paraître étonnante. En 6e, l’un de ses camarades de classe avait répondu à son professeur qu’il voulait être footballeur et prêtre. « Moi, j’ai toujours été séduit par les évangiles, la foi. Dans l’éphémère de ma vie, il y a une dimension éternelle qui est en jeu. »
« On est vite dans la morale »
Le ballon rond est resté une passion, même s’il a boudé la Coupe du monde 2022 au Qatar, trop éloignée de ses valeurs. En revanche, le père Cherrier adore animer les ateliers foot et foi à Saint-Jacques-de-Compostelle. Entre deux crochets, les élèves parlent d’eux, de leurs croyances. Lui écoute, nourrit la conversation, avec un regard de coach acéré. Dans la communauté des religieux du Sacré-Cœur, à laquelle il appartient, l’engagement éducatif est d’ailleurs une marque de fabrique. Avant de débarquer dans la Vienne il y a cinq ans, le titulaire de nombreux diplômes (animateur, directeur, éducateur sportif...) a passé quatorze ans à Paris.
Là-bas, le prête s’est livré corps et âme pour les gamins et ados placés par les services de la Protection judiciaire de la jeunesse et de l’Aide sociale à l’enfance. Il a ouvert un lieu d’accueil pour ces jeunes cabossés par l’existence. « Qu’est-ce qu’ils m’ont appris ! Des fois, je m’énervais un peu parce qu’ils faisaient des c... J’étais trop exigeant. Ils me disaient : « Bertrand, tu es agité, ce n’est pas grave ! » Chez les prêtres, on est vite dans la morale. Ils m’ont libéré de ça. » Ce lecteur attentif de Dostoïevski ou d’Annie Ernaux regarde la vie en face, telle qu’elle est. Iconoclaste et parfois « pas suffisamment à l’écoute » à son goût, il « manque encore de patience » mais « se soigne ». Au temps qui passe, le père Cherrier préfère « le temps qui fait ». Au passé le présent. Aux injonctions l’action. « Etre en vie, c’est une chose, avoir la vie en soi c’est mieux. Personnellement, j’ai toujours un coin de ciel bleu dans ma tête. » En particulier depuis sa fameuse rencontre avec le pape François.
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