Trois magistrats sur le banc des accusés

Le public prend rarement fait et cause pour un plaignant en pleine audience. Il interpelle encore moins un juge... C'est pourtant ce qui s'est passé, hier après-midi au tribunal correctionnel de Poitiers. Pour la première fois, trois magistrats comparaissaient, notamment, pour recel de faux jugements.

Romain Mudrak

Le7.info

Cette fois, René Forney en avait trop gros sur le coeur. Il fallait que cela sorte. Le président de l'association «Une même justice pour tous» n'a pas supporté de voir son camarade Michel Pinturault être traité «d'activiste procédural » par l'avocat de la défense : « Nous sommes des centaines de victimes à nous réunir actuellement. Tous, nous avons souffert d'abus de pouvoir commis par des magistrats comme vous. Vous entendrez parler de nous, je vous le jure. » Evacué par l'agent de police qui veillait au bon déroulement de l'audience, le Grenoblois René Forney a été suivi par une dizaine de militants, tout aussi indignés que lui. Le juge ordonna une suspension de séance pendant que, dehors, le groupe continuait de manifester son mécontement.

Faux jugement
Michel Pinturault, médecin au service de gériatrie du CHU de Bordeaux, puis à l'hôpital psychiatrique de la ville, réclamait, cet après-midi, que « justice soit faite » dans une affaire impliquant trois magistrats. Les faits remontent au début des années 1990. Le docteur s'engage dans la création d'une maison de retraite médicalisée en Gironde et contacte, pour cela, un banquier. Ce dernier verse une somme d'argent, insuffisante pour terminer les travaux. Le centre n'ouvrira jamais ses portes, Michel Pinturault étant dans l'impossibilité de recouvrir ses dettes. « J'ai été le pigeon idéal dans une opération de blanchiment d'argent », affirme l'intéressé. Reste que sa Société civile immobilière (SCI) a été placée en liquidation judiciaire : «Le mandataire s'est fait graisser la patte pour ne pas chercher les vrais responsables. Quand je l'ai compris, il a demandé à être déchargé de sa mission. » En 1995, le juge commissaire du tribunal de commerce nomme un autre administrateur, sans audience préalable, ni saisine du tribunal. Une procédure jugée illégale par le tribunal correctionnel de Bordeaux, en novembre 1998. Le jugement était un «faux» !

Par la suite, Michel Pinturault a cherché à faire condamner le juge commissaire auteur de l'acte félon :   « Cette dame a couvert le mandataire, qui avait refusé d'effectuer les expertises nécessaires pour que j'obtienne gain de cause auprès de la banque. Elle risquait la cour d'assises », souligne le plaignant. Dix années d'instruction ont abouti, en 2009, à un non-lieu révoquant la décision du tribunal de Bordeaux, datée de 1998. L'acte du juge commissaire est redevenu légal. Un arrêt de la cour d'appel de Rennes a même confirmé le jugement en janvier 2010.

Procédure abusive

Les trois magistrats accusés par Michel Pinturault n'ont pas directement participé à ces dix ans de procédure. Deux d'entre eux ont utilisé à tort le faux jugement, le troisième est celui qui a rendu le dernier arrêt à Rennes. Pour le requérant, le procès de Poitiers est une « première étape ». Désormais à la retraite, il se bat pour son honneur. Le passif de 9M€ a été pris en charge par la banque, après une procédure reconnaissant en partie sa faute.
Confronté à des «infractions fantaisistes», le parquet a réclamé une amende de 5 000€ pour procédure abusive. Les trois magistrats ont, quant à eux, demandé le versement d'une indemnité de 5 000€ chacun. Le juge tranchera le 16 juin.

photo 1 :
René Forney, président de l'association "Une même justice pour tous", devant le palais de justice de Poitiers.
photo 2 : Michel Pinturault se bat depuis vingt ans pour que son préjudice soit reconnu.

À lire aussi ...