Son cap est clair

Laurent Petit. 53 ans. Directeur du Centre pour adultes avec autisme en Poitou (Caap) de Vouneuil-sous-Biard. Iconoclaste. Amoureux de photo et de voile. A fait ses humanités en Belgique, pays dont il est originaire.

Arnault Varanne

Le7.info

Ça a commencé comme un coup de foudre, un 14 février 2005. Treize ans, huit mois, seize jours et quelques heures plus tard, l’idylle entre Laurent Petit et le Centre pour adultes avec autisme en Poitou (Caap) se prolonge. « Plutôt fidèle », le directeur de la structure ne se voit pas vieillir ni partir. Il puise « sans aigreur ni nostalgie » dans un « référentiel » qu’on appelle aussi « l’expérience ». Bombardé, à 22 ans, responsable d’un centre similaire en Wallonie, avec quatorze jeunes Français -de 2 ans et demi à 27 ans- sous sa coupe, l’intéressé dégage une forme d’autorité naturelle. Il a vécu avec eux sept années intenses « à son domicile ». « Mon fils aîné s’est fait donner le biberon par une personne qu’on considérait comme un assassin en puissance. Ces gens, je leur ai fait confiance. Jusque-là, on ne leur avait jamais rien donné, si ce n’est des choses à casser. »

Laurent Petit développe une approche de l’autisme hors cadre. Il ne « prend pas en charge » « ses » pensionnaires, mais les « prend en compte ». La nuance est subtile mais fondamentale pour celui qui a « déchanté à son arrivée en France ». Le « Belge de service » n’avait pas perçu le clivage profond entre la psychiatrie et le comportementalisme. « J’en ai pris plein la g… C’était gratuit, donc j’ai pris », plaisante-t-il avec du recul. De formateur des directeurs français de structures, il s’est retrouvé propulsé sur les bancs de la fac, en master II d’ingénierie sociale et médico-sociale. Ce retour à l’école, le père de cinq enfants (30, 28, 26, 10 et 5 ans) l’a vécu comme « un enrichissement ». Il y a étanché sa soif de connaissances, de points de vue aussi.

« Mon grand-père a beaucoup compté »

Le Tournaisien ne s’est « jamais pris pour un autre ». Question de terreau familial. Son grand-père maternel, un inspirateur, lui a beaucoup répété que « l’orgueil tue l’homme ». « Ce monsieur, orphelin de guerre, a bossé jusqu’à 74 ans. Il dirigeait encore une équipe de 400 personnes à la Sobemap, après avoir démarré très modestement. C’est quelqu’un qui a beaucoup compté. » D’une certaine manière, son aïeul l’a aiguillé sur de bons rails, en lui permettant notamment de décrocher un petit job d’animateur à l’Espéranderie, un Institut médico-pédagogique. Lui qui se rêvait en généticien voire photographe -une vraie passion- a changé de boussole. Notamment à la faveur de séjours organisés par une mutuelle dont son grand-père était le président.

« Je m’étonnais qu’on fasse beaucoup pour les normaux et rien pour les handicapés », prolonge-t-il. Pris au mot, le jeune adulte a vu son souhait exaucé. Grâce à un partenariat avec une association, Laurent et les autres animateurs ont sorti des personnes en situation de handicap de leur quotidien. « On les déguisait, on se baladait comme si c’était nos frères et nos sœurs. » Son destin était scellé, il serait éducateur spécialisé. Il s’est nourri pendant deux ans à Charleroi, avant d’enchaîner sur un cursus d’orthophoniste. Encore et toujours ce « besoin de comprendre l’autre », ce qui le meut. Formé mais jamais formaté, le patron du Caap vit l’instant sans jamais perdre de vue le… cap.

« Elle me rappelle mon grand-père »

A dire vrai, son arrivée à Poitiers relèverait presque du quiproquo. Au début des années 2000, il menait une mission d’un an dans deux IME parisiens lorsqu’une « amie psychiatre » lui a proposé, un soir, de « rencontrer quelqu’un à la gare Montparnasse » : Christiane de Pasquale, mère d’un enfant autiste. « Elle cherchait à créer une structure à Poitiers et recrutait un directeur. Moi, j’avais une femme, trois enfants, une vie en Belgique. Bref, c’était compliqué. Elle s’est occupée de tout, elle a été formidable, j’ai un immense respect pour elle. » Si l’idylle se prolonge entre Laurent Petit et le Caap, c’est aussi grâce à cette relation faite d’admiration réciproque. « D’une certaine manière, elle me rappelle mon grand-père… »

Ici, « le Belge » -appellation d’origine non contrôlée !- a su imposer sa rigueur, son exigence du « travail bien fait » et ses méthodes iconoclastes. Il a, par exemple, initié un partenariat avec l’association Cap handi pour permettre à des autistes de naviguer. « Les seules solutions qui marchent, ce sont celles que tout le monde accepte, usagers, personnels et familles. » Barbe de hipster et lunettes écaille, ce grand amateur de cigares est donc là pour longtemps, sauf pépin de santé. Il se sent « bien ».

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