A La Mothe-Chandeniers, des néo-châtelains désenchantés

Spécialisée dans la préservation du patrimoine, Dartagnans a fait du château de La Mothe-Chandeniers un projet emblématique. Depuis plusieurs mois, des actionnaires critiquent la gestion de la startup, qui serait trop éloignée des promesses initiales.

Steve Henot

Le7.info

Situé dans le Nord-Vienne, le château de La Mothe-Chandeniers continue de faire rêver. Une première campagne de financement participatif a permis à la société Dartagnans d’acquérir l’édifice en 2018. Une autre levée de fonds vient de rapporter près de 2M€. « Un record du monde », affiche fièrement la startup sur ses réseaux. Plus de 25 000 internautes se sont ainsi offert une parcelle de ce monument incroyable. Mais pour une part d’entre eux, le rêve tourne à la désillusion.


Des donateurs, devenus actionnaires de la SAS du château, ont vite dénoncé une gestion « opaque » de la part de Dartagnans. Loin de la vision « communautaire » à laquelle ils pensaient adhérer. « Vous n’avez rien à dire sur les projets, déplore Christel Bourgeois. Beaucoup de gens ne reçoivent pas les codes pour voter en assemblée générale. » 


Une gestion jugée opaque

Comme cette Deux-sévrienne, ils sont plusieurs à se questionner sur la destination des sommes récoltées par Dartagnans, demandant à la structure le détail des charges d’exploitation déclarées (communication, comptabilité...). « Ils oublient de dire que 8% HT des dons sont prélevés à cet effet, c’est indiqué nulle part ! » Le ton est très vite monté avec la startup, qui n’a pas hésité à écarter les mécontents. Dartagnans assume. « Dès 2018, on m’a dit de me rallier ou de rester dans mon coin », souligne une ex-actionnaire. « On a passé plus de temps à gérer les tensions qu’à s’intéresser au projet », regrette Julien Marquis. L’ex-directeur du développement a depuis quitté le navire, et avec lui l’association Adopte un château. L’achat du château de Vibrac par Dartagnans, en 2020, a scellé des désaccords. « Nous avions deux façons de voir opposées. Nous misions sur le développement local, eux sont là pour faire de l’argent. »


« Des promesses non tenues »

Des tensions sont aussi apparues sur le site de La Mothe-Chandeniers, avec le départ simultané de deux stagiaires et d’une salariée en CDD fin juillet, au cœur de la saison estivale. « J’étais venue pour faire de la médiation, mais je n’ai quasiment fait que de la caisse, explique Juliette(*), l’une des stagiaires, qui avait également une action dans la SAS du château. Plein de choses n’allaient pas, les conditions de travail immédiates n’étaient pas bonnes. » Poste de travail humide, sanitaires éloignées, absence de point d’eau… Des difficultés qui ont été plusieurs fois remontées à Dartagnans. Sans réponse. « Il y a de l’amateurisme à tous les niveaux », déplore la jeune femme. Eliane Lamacque, l’ancienne propriétaire du terrain, encore très présente sur le site, reconnaît qu’il a « manqué d’encadrement » l’été dernier, tout en soutenant que ces accusations sont, selon elle, « très exagérées ». Juliette assure ne pas avoir été payée pour son mois de stage, elle a envoyé une lettre de mise en demeure en septembre. Dartagnans nie en bloc, pointant le manque de sérieux des stagiaires et assimilant leur départ à un abandon de poste.


Aujourd’hui, les actionnaires « frondeurs » s’interrogent surtout sur la légalité du fonds de dotation. « Ce fonds ne peut financer que des projets d’intérêt général. Pour nous, ce n’est pas le cas, c’est du marketing », explique Christel Bourgeois. La question a été soumise à l’expertise juridique d’associations de consommateurs. « Les promesses sur la gestion désintéressée n’ont pas été tenues, assène Julien Marquis, qui a maintenu le contact avec les déçus. Moralement, je me sens responsable de leur cas. » Après la fin de sa collaboration avec la startup, l’expert en patrimoine n’a pas fait une croix sur son rêve initial d’achat collectif de châteaux. « On y croit encore, mais plus en lien avec l’intérêt général. Avec Adopte un château, on réfléchit à une opportunité. Ce serait une réponse à Dartagnans pour dire que ça peut marcher sur un mode plus vertueux. »


 

(*)Prénom d’emprunt.

 

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DR - Yac

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