Emmaüs Maisoncelle s’éveille

A la fois chantier d’insertion et tremplin pour détenus en fin de peine, La Ferme Emmaüs Maisoncelle démarre ses activités de maraîchage cette semaine, dans la campagne mélusine. La rédaction consacre toute la saison une série à cette initiative exceptionnelle, la cinquième du genre en France.

Arnault Varanne

Le7.info

La longue allée bordée de sapins offre au lieu un cachet indéniable. Au lieu-dit Maisoncelle, à quelques kilomètres du centre-bourg de Lusignan, un immense corps de ferme de 650m2 de surface habitable, de 900m2 de grange et de 
2 hectares de terres s’apprête à reprendre vie, à travers un projet porté par l’association La Ferme de l’air libre, aujourd’hui Emmaüs Maisoncelle(*). « D’abord pour signifier notre appartenance au mouvement Emmaüs, ses principes et valeurs, ensuite pour l’attachement au territoire », 
décrypte Bruno Vautherin. Lui, c’est l’initiateur de cette cinquième structure à nulle autre pareille (lire ci-contre) destinée à devenir « un lieu de vie et de travail pour des détenus en fin de peine ». 


Les premiers -jusqu’à douze à terme- arriveront en janvier. Ils y resteront entre six et dix-huit mois. « Nous avons déjà une quinzaine de candidatures, de Vivonne mais aussi de Châteaudun, Saint-Maur, Saint-Martin-de-Ré... » Ici, ils auront l’occasion de retrouver des repères, de se réadapter à la liberté, de bénéficier d’un accompagnement social... Bref, d’envisager la suite avec les meilleures chances de réinsertion, d’autant qu’ils seront rémunérés, paieront un loyer et participeront à la vie collective. Le pari est audacieux car il repose sur plusieurs piliers, à commencer par la réussite de l’activité économique, en l’occurrence du maraîchage bio. 


« Tout est à faire ! »

Dès cette semaine, La Ferme Emmaüs Maisoncelle accueille « ses » trois premiers salariés sous la forme d’un atelier-chantier d’insertion. Aux côtés de Bruno Vautherin, de Mélanie Forestier, accompagnatrice sociale et professionnelle, et d’un chargé de vie collective, Antoine Leblanc sera en première ligne. Charge à l’encadrant technique de semer les premières graines avec les salariés. « Il faut installer les serres, mettre en place le système d’irrigation, finir d’aménager l’atelier... Tout est à faire ! », s’enthousiasme le directeur. Les légumes cultivés seront proposés à la vente sur la ferme, sans doute sur les marchés et, pourquoi pas, directement au centre pénitentiaire de Vivonne. L’équipe est animée par une farouche envie de transformer les corps et les cœurs au fil des années. Un peu à l’image de ce que les pionniers de Moyembrie, en Picardie, ont réussi depuis deux décennies. 


(*)Coup de cœur 2021 de Grand Poitiers dans la catégorie Economie sociale et solidaire. Plus d’infos sur emmaus-maisoncelle.fr. 

 

Portrait 
D’ingénieur à directeur 

Parisien d’origine, Bruno Vautherin a suivi des études d’ingénieur aéronautique, a travaillé dans son domaine de prédilection avant de bifurquer vers une autre vie professionnelle. Au retour d’un voyage initiatique au Cambodge, et en quête de sens dans son quotidien, il a atterri aux Ateliers du Bocage. D’abord comme responsable de la Bootique puis en qualité de directeur-adjoint de l’entreprise d’insertion. Le voilà désormais, à 36 ans, à la tête d’un autre projet furieusement « utile ».

Dans le rétro 
Quatre fermes pionnières 

La Ferme Emmaüs Maisoncelle ne part pas zéro. Emmaüs compte en son sein quatre autres lieux de vie et de travail. Moyembrie, en Picardie, a démarré en 2000 et a déjà servi de tremplin à 500 personnes. Lespinassière, dans l’Aude, a rejoint le mouvement en 2016. Baudonne, en Dordogne, n’accueille que des femmes sous main de justice. Enfin, La Ferme Ker Madeleine, est la dernière à avoir vu le jour en 2021, en Loire-Atlantique. 

Procédure
Qui peut candidater ? 

Le projet mélusin n’aurait pas pu voir le jour sans un partenariat étroit avec l’administration pénitentiaire, notamment le Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce sont ses agents qui sélectionnent les profils des futurs locataires de La Ferme Emmaüs Maisoncelle. Ceux-ci doivent avoir été condamnés à des peines de plus de trois ans et être en capacité de travailler et vivre en collectivité. « Le cadre est contraignant et les règles doivent être respectés », rappelle Bruno Vautherin. La motivation des candidats est évidemment un critère essentiel. 

Un financement pluriel 

Association loi 1901, La Ferme de l’air libre s’appuie sur des ressources financières privées et publiques pour démarrer son activité.


Le domaine de Maisoncelle -trois anciennes fermes rassemblées- a été acquis par la Solifap, une société d’investissements solidaires créée par la Fondation Abbé Pierre et AG2R-La Mondiale en 2014. La cession a eu lieu le 25 mars 2022. Séduite par le projet porté par La Ferme de l’air libre, la Solifap a signé avec l’association un bail emphytéotique de vingt ans. « Sans ce montage, nous n’aurions jamais pu nous installer ici », reconnaît Bruno Vautherin. Au-delà, l’équilibre économique du projet repose sur la prestation pour l’administration pénitentiaire, le chantier d’insertion (via une aide au poste), le fruit de la vente des produits de la ferme, ainsi que sur une part d’autofinancement. Des aides complémentaires, notamment de la Région, du ministère de la Justice et du réseau Emmaüs, permettent de boucler le tour de table financier. En 2023, la structure fonctionnera avec 500 000€, sachant que des travaux d’aménagement des granges et des logements seront nécessaires.

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