Suzanne de Baecque, Miss pas comme les autres

Suzanne de Baecque. 27 ans. A participé au concours Miss Poitou-Charentes 2020. La comédienne raconte l’envers du décor dans Tenir Debout, un spectacle joué la semaine dernière à Poitiers. Joue aussi à la télé et au cinéma pour François Ozon, Maïwenn et Caroline Vignal. Signe distinctif : fuit les étiquettes.

Steve Henot

Le7.info

2017. Après les concours des écoles nationales de théâtre, Suzanne de Baecque s’accorde un peu de repos chez sa mère, à Berthegon. Un jour, au Super U de Lencloître, elle tombe sur une affiche annonçant la dernière ligne droite pour se présenter à Miss Poitou-Charentes. Son beau-père lui lance alors, avec second degré : « Ah bah tiens, si t’as pas tes concours, tu pourras t’inscrire à Miss Poitou ! » La comédienne est soufflée par la remarque. 
« Actrice et Miss, même combat ? Vraiment ? »


Trois ans plus tard, cette phrase un brin condescendante -pour l’actrice comme pour les aspirantes Miss- revient à Suzanne, comme un boomerang. Alors, dans sa dernière année de formation théâtrale, elle décide de s’inscrire au concours. Avec l’idée de faire de cette immersion un objet artistique. 
« J’y suis allée à fond, en mettant toutes les chances de mon côté, en apprenant à défiler… Comme une actrice pour son rôle. » C’est de cette expérience qu’est né Tenir Debout, spectacle où Suzanne dresse des portraits étonnants et authentiques d’aspirantes Miss du territoire. « J’avais besoin de sentir comment le concours transforme mon propre corps, mais aussi d’aller à la rencontre des concurrentes, de comprendre ce qui les motive à participer à ce concours, dans le contexte de libération de la parole féministe. »


« Croire aux rencontres »

Sensible et touchant, le spectacle a été joué lors des Rencontres de printemps du Meta, à Poitiers. Suzanne a profité de ce retour dans la région pour revoir d’anciennes participantes avec qui elle a gardé le contact. Parmi lesquelles Lauraline, Disséenne dont le témoignage bouleversant -contrainte d'arrêter le concours après un cancer- clôt Tenir debout. « J’aime que l’on considère leur parole comme de vrais textes. Ce sont des oralités que l’on a peu au théâtre, apprécie la metteuse en scène et interprète. Et je me rends compte que le spectacle n’est pas fermé sur le concours, il parle aussi de ce qu’est être jeune en 2020, de vouloir s’émanciper… Il a aussi réglé des complexes que j’avais, m’a donné confiance. » 


Suzanne de Baecque, c’est une 
« gueule ». Attitude un peu gauche, sourire ingénu, la jeune comédienne de 27 ans a une présence indéniable, dont elle ne semble pas encore prendre la mesure. Le Syndicat de la critique ne s’y est pas trompé en lui délivrant l’an dernier le Prix Jean-Jacques Lerrant de la Révélation théâtrale pour son incarnation de Lisette dans La Seconde surprise de l’amour de Marivaux, mise en scène par Alain Françon. Et la presse culturelle de se pencher sur son cas avec bienveillance. 
« Les bonnes critiques, c’est génial, mais je les prends de manière collective. Il faut être dans le travail, ne pas croire au succès, plutôt aux rencontres », plaide-t-elle. 


« J'ai l'impression d'avoir la chance d'échapper aux étiquettes. »

La plus « fondamentale » étant celle avec Séverine Chavrier, la directrice du centre national dramatique d’Orléans. « Sans elle, Tenir Debout n’existerait pas. Elle m’a laissé les clés de son théâtre et un peu de son portefeuille, après avoir vu la première maquette. Quand j’aurai 40-45 ans, je voudrai donner des coups de pouce à des jeunes comme elle l’a fait avec moi. C’est exactement le bon côté de la transmission. »


La Parisienne a désormais un peu de Poitou en elle. Son immersion dans le concours Miss régionale a été l’occasion d’apprendre à connaître ce territoire où s’est installée sa mère il y a une dizaine d’années. « Je n’ai jamais vraiment vécu ici. » 
Suzanne s’est même invitée un mois au côté du maire de Lencloître, Henri Colin, pour les besoins de son immersion. « Je l’ai suivi partout, au marché, sur des rendez-vous… Je suis Miss Lencloître maintenant !, glisse-t-elle dans un franc sourire. J’adore car c’est une ville ultra-banale mais avec une vie associative de dingue, un dynamisme à très petite échelle. »


Sur petit et grand écran

Fille aînée d’un père journaliste critique de cinéma et d’une mère romancière, Suzanne a grandi à Paris « avec de la culture autour » d’elle. Sans ressentir d’injonction à se nourrir de livres, de films et de spectacles. « Je n’ai pas eu l’impression de suivre des traces, précise-t-elle. D’ailleurs, je suis la seule comédienne de la famille. » 
Elle prend ses premiers cours de théâtre à 10 ans dans un centre d’animation du XIIIe arrondissement, se découvre une passion, puis une vocation pour le jeu. Suit le « parcours classique » : formation à la classe libre du Cours Florent avant d’intégrer la 6e promotion de l’Ecole du Nord sous la direction de Christophe Rauck en 2018. Avec des envies de théâtre et de cinéma.


Depuis, Suzanne multiplie les projets, castings et tournages avec appétit. Quitte à s’oublier un peu. « J’aimerais avoir plus de temps pour moi, convient la jeune femme. J’ai aussi des envies d’écriture. » On l’a notamment vue à la télévision dans Belle belle belle ou encore dans la série féministe Derby Girl. Et aussi au cinéma, pour de petits rôles, dans Les Eblouis, Annie Colère et récemment Mon Crime. En 2023, elle sera dans Jeanne du Barry réalisé par Maïwenn, dans le rôle de l’une des filles de Louis XV, campé par Johnny Depp. Et elle apparaîtra au côté de Laure Calamy, dans la prochaine comédie de Caroline Vignal (Antoinette dans les Cévennes). Des rôles très différents d’un projet à l’autre. « C’est difficile de sortir des étiquettes, mais j’ai l’impression d’avoir la chance d’y échapper, dit-elle, cognant la table de son poing comme par superstition. J’aspire à jouer des choses qui me plaisent. »

DR - Jean-Louis Fernandez

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