La douleur du souvenir

Début avril, une centaine de Marsouins du Régiment d’Infanterie-Chars de Marine seront de retour du Gabon. Sur chaque opération extérieure, plane le spectre du Syndrome de stress post-traumatique. La peur de sa propre mort et, plus encore, la perte d’un frère d’armes peuvent laisser des traces indélébiles…

Nicolas Boursier

Le7.info

Il y a tout juste deux ans, il se livrait dans nos colonnes comme on expie ses péchés. Avec la solennité propre aux souffreteux trop longtemps silencieux. Le caporal-chef Emmanuel Gargoullaud se racontait en souvenirs, en souffrances à évacuer et en visions de mort. De la mort. Celle de son ami Hervé Guinaud, touché, à dix mètres de lui, par le souffle d’une bombe artisanale afghane. « Je ne pourrai jamais oublier, assurait- il alors. L’image de ce père de famille tombé à mes côtés hantera toute mon existence. »

Parler de ce douloureux épisode a pourtant servi sa thérapie, écrire sur lui a sans doute accéléré sa guérison. Son bouquin « L’Afghanistan en feu, témoignage d’un engagé volontaire » sonne encore aujourd’hui comme une ode au devoir de mémoire. « Il est l’héritage que je souhaitais léguer aux amis, aux proches d’Hervé et à tous mes camarades Marsouins. » A tous ceux que la mort accompagne, obsède et, hélas parfois, touche en plein coeur.

Comme Emmanuel Gargoullaud, le sergent-chef L. a subi l’épreuve du traumatisme. Comme le capo-chef, il a perdu un frère d’armes, victime d’un engin artisanal. C’était dans le cadre d’un mandat Cerval, au Mali. Sauf que lui n’a pu trouver dans l’écriture le contrepoids à son mal-être.

Depuis de longs mois, il s’efforce de cautériser les plaies. Mais que le chemin est semé d’embûches. « Quoi que je fasse, je porterai toujours ce souvenir en moi. Il s’atténue parfois, me ne se dissipe pas. C’est pour cela que je ne parle pas de guérison, mais de rémission. » Au moment de ce tragique accident, le Chef L. était en situation de commandement. Il a mis du temps pour se faire à l’idée qu’il n’était pour rien dans la mort de son camarade, qu’il n’avait commis aucune faute. « Ce sentiment de culpabilité a pourtant lourdement influé sur ma réadaptation à la vie, civile et militaire. Chez moi, c’était canapé télé. Au boulot, je n’avais plus goût à rien, plus d’envie, plus de flamme. »

« Ma femme m’a sauvé »

Gravement brûlé, comme deux autres gars de son escadron, L. a d’abord vécu ses trois semaines d’hospitalisation comme un calvaire. Puis il lui a fallu se réconcilier avec le quotidien d’une existence brisée. Son erreur ? Le refus de tout, principalement du dialogue. « Jusqu’au jour où mon épouse m’a mis au pied du mur. Elle a été mon déclic, mon catalyseur d’énergie. Me perdre, c’était la perdre, c’était perdre ma petite fille née à mon retour du Mali. Elle m’a poussé à me regarder en face et à choisir. Je peux l’avouer aujourd’hui, elle m’a sauvé. »

Reconnu blessé de guerre, le Chef L. sourit enfin plus ouvertement à la nécessité de se reconstruire. Y compris au sein de cette armée qui a failli le tuer. « Je ne peux pourtant pas lui reprocher de ne pas m’avoir accompagné. Ici, au RICM, comme auprès de la Cellule d’aide aux blessés de l’Armée de Terre, j’ai bénéficié d’une écoute chaleureuse et réparatrice. Au point que je me suis convaincu de repartir. Finalement, le fait qu’on ait accepté prouve que je vais mieux. »

Quatre mois en Centrafrique sont ainsi venus exorciser les vieux démons du soldat. « Les opérations, c’est l’adrénaline de tout militaire, ce pour quoi on s’engage. Mes peurs n’ont pas toutes disparu, mes cicatrices ne se sont pas toutes refermées, mais j’ai désormais pris conscience qu’il fallait avancer. » Par amour pour sa patrie. Par amour pour sa femme et sa fille. Par amour pour cette vie que tant d‘autres ont perdue.

 

Des familles à préparer

Avant de retrouver leur famille, les soldats du RICM repassent par la case régiment, pour regoûter à la cohésion de groupe et aux habitudes de la garnison. « On a pu s’apercevoir, par le passé, qu’il y avait un grand risque à les envoyer immédiatement en permission, explique l’adjudant-Chef Bayala. Une femme qui travaille, des enfants à l’école, des proches pas toujours disponibles… sont autant de conditions propices au repli sur soi, à la déconnexion de la réalité et même à l’addiction. Le refuge dans l’alcool, notamment, n’est hélas pas rare. »
« Le côté non visible des blessures post-traumatiques les rend souvent plus difficilement détectables par les proches que par des frères d’armes soumis au même risque », confirme le médecin-capitaine Luft. C’est pourquoi l’Armée de terre en général, le RICM en particulier, font de l’information à destination des proches, et tout particulièrement des époux/ses, une priorité d’action.

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