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C’est peut-être le t-shirt qui résume le mieux sa personnalité et son besoin d’authenticité. « Pas d’ABS, pas d’ESP, pas d’électronique, en gros pas d’emmerde ! : La Deuche. » La bagnole aux chevrons est indémodable, comme la cuisine française, celle qu’il a apprise à la prestigieuse Ecole Ferrandi, à Paris dans les années 90. Celle aussi mijotée par sa tante, chez qui il a passé tous ses mois de juillet, lui le Parisien immergé une fois par an à la Cotinière, petit port de pêche et d’attache de l’île d’Oléron. « Vous savez, les moules-frites revenues à la poêle avec du pain, de l’ail et du persil. C’est à se taper la tête contre les murs, mais je n’ai jamais réussi à les reproduire ! » Au Dos de la fourchette, son restaurant de la rue Magenta, à Poitiers, Yann Ribler se met facilement à table. Ce défenseur du fait-maison, d’une certaine idée de la gastronomie, s’agace quand des clients lui demandent justement si sa mousse au chocolat...
Le temps aidant, le fils de commercial et de secrétaire lâche (un peu) prise. « Le Covid m’a permis de me rapprocher de mes clients », devise-t-il, sourire aux lèvres. « Madame Simone »
(Brunet) lui est restée fidèle, malgré le déménagement de son local historique des Cordeliers -seize ans de présence- quelques centaines de mètres plus loin, à la place de Thé ou Café. L’avocate en retrait(e) a longtemps fait du resto sa cantine, comme beaucoup d’autres robes noires. Mais l’Ordre des avocats a déménagé, sa fidèle clientèle s’est éloignée. Bref, les temps ont changé. Au passage, le chef goûte assez peu les émissions de télé telles que Top Chef « parce qu’on ne
s’occupe plus de la cuisine populaire », du quotidien, devenue
« trop industrielle ».
Et pourtant, Yann Ribler a toujours le feu sacré. Les mêmes étoiles dans les yeux que lorsqu’il a trouvé sa voie, « dans un Relais & Châteaux en Touraine, chez M. Robin je crois ». Si le profil du propriétaire est flou, « la qualité des mets et le service » gardent une place à part dans sa boîte à souvenirs. Le quinquagénaire aurait eu mille raisons de mettre un terme à sa carrière de restaurateur. Il dépeint « des rapports rudes, violents » au contact de patrons aux méthodes d’un autre âge. Le diplômé de l’Ecole supérieure de cuisine française a « fait ses choix » et échappé au cauchemar en cuisine. Pas de sévices chez Henri Faugeron, deux macarons Michelin au tablier, encore moins au Crocodile, à Strasbourg, un de plus. Son premier contrat professionnel l’amène au Café de la paix, à Paris. « Du 7h-23h, à 19 ans, ça forge même si ce n’était pas trop légal ! »
Aussi exigeant soit-il le métier de cuisinier offre quelques privilèges. Le professionnel a rencontré Paul Bocuse, effectué son service militaire dans les cuisines de l’Elysée, au moment du triomphe des Bleus du foot à la Coupe du monde 98. « Je me suis approché à dix mètres du trophée, c’était magique ! », raconte par le menu l’ancien footballeur de niveau régional. L’anecdote restera, comme cette parenthèse enchantée de deux ans en Californie. « Une opportunité » de tutoyer l’excellence dans un palace de Laguna Niguel, entre San Francisco et Los Angeles. « On se fait tout petit au départ, puis au fur et à mesure on prend confiance en soi grâce à un meilleur niveau d’anglais. » Deux années dorées, « des rapports différents, plus positifs » et une rencontre avec Hélène, sa future femme « partie rendre visite à son oncle ». La vie, parfois...
Les trois garçons du couple ont aujourd’hui 19, 16 et 13 ans. Ce sont eux qui l’ont incité à migrer vers la province -Iteuil précisément-, après une dernière expérience très mitigée au sein de la très prestigieuse Tour d’argent. Les grandes maisons, ce n’est pas, plus son truc. Trop d’artifices, de sacrifices aussi. Yann a tôt fait d’ériger sa vie de famille en priorité. Pas forcément évident quand on évolue dans un milieu aussi chronophage. Tout s’explique : « Le décès de mon père m’a plombé, j’avais la vingtaine. Et je me rappelle qu’il me disait toujours « On verra à la retraite », sauf que... « Je me suis promis que je n’aurais pas les mêmes priorités, que je ne commettrais pas les mêmes erreurs. » Alors la famille Ribler profite, la télé en sourdine et le sport en partage. A l’un de ses fistons le handball à Biard, à lui le tennis, à Iteuil.
Si l’orage gronde à l’horizon, lui veut « rester positif » et continuer à « se battre pour des choses qui en valent la peine ». A commencer par l’éducation de ses enfants et la transmission de son savoir. Des cours de cuisine traditionnelle à l’école de la République ? Et pourquoi pas ! On bichonne bien les « Deuches » à l’heure de la voiture autonome;
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Yann Ribler. 50 ans. Patron du restaurant Le Dos de la fourchette, à Poitiers. Militant du fait-maison. A rencontré Paul Bocuse et vécu deux ans en Californie. Père de famille impliqué. Signe particulier : a toujours le feu sacré en cuisine.