Belle infidèle, en chair et en mots

Sous couvert d’explorer les mondes de la traduction et de l’édition, Belle Infidèle, le premier roman de Romane Lafore, interroge le rapport entre la réalité et la fiction en mêlant consciemment français et italien, dans une langue foisonnante. L'auteure sera présente à la médiathèque François-Mitterrand dans le cadre des Editeuriales, mercredi 11 mars à 18h.

Claire Brugier

Le7.info

Romane Lafore a d’abord écrit. Elle a noirci des pages sans discontinuer, sans se relire, sans se retourner... « De peur que cela m’interrompe », confie la jeune auteure. Dans ce premier roman en trompe-l’œil, comme son titre Belle Infidèle, elle plonge le lecteur dans les méandres de la traduction, lui révèle les aspérités du monde de l’édition, l’emmène dans Paris et le fait voyager jusqu’en Italie. En italien souvent. Et dans la peau d’un homme, Julien Sauvage, traducteur de son état, aspirant écrivain, vivant dans le souvenir d’une femme qu’il voit partout sauf lorsqu’elle se présente sous ses yeux, derrière les mots d’un autre. 

Belle Infidèle est « un roman dans le roman dans le roman », s’amuse Romane Lafore, qui transgresse volontiers la frontière entre réalité et fiction, distord les apparences et puise dans ses expériences d’ancienne éditrice et traductrice d’italien pour alimenter cette histoire plurielle, en se glissant dans la tête et le corps de Julien. Pourquoi ? Parce que « c’est fou d’être dans la peau d’un homme pendant vingt mois ! ». Mais pas seulement. « J’ai voulu montrer comment les hommes regardent les femmes et les enferment dans le regard qu’ils portent sur elles », renchérit l’auteure, lucide sur le féminisme latent de son roman. 

Traduction infidèle

« Lorsque j’ai commencé à traduire pour mon plaisir, j’ai découvert que cet exercice mettait le traducteur et l’auteur dans une drôle de relation. » Ainsi est née l’idée de ce roman dans lequel la traduction sert paradoxalement de révélateur à la réalité.  « Je suis passionnée de psychanalyse et, quand je lis un roman, j’aime déceler la réalité derrière la fiction. Chez Proust par exemple, j’aime comprendre pourquoi Alfred est devenu Albertine, comment la fiction est un moyen de parler de la réalité, de la soigner, de l’exacerber... C’est fascinant. J’aime enquêter sur le backstage d’un roman, même si pour beaucoup on ne le connaîtra jamais ! »  

Dans l’enquête littéraire qu’elle fait mener à Julien, les indices sont des mots italiens, parfois traduits, parfois induits, confiés tels quels au lecteur. « Il n’y a jamais de pièges, ce sont toujours des portes ouvertes, assure Romane Lafore. C’était le plus grand défi technique de ce roman : faire entendre le bilinguisme sans que ce soit une démonstration de force. J’ai voulu mettre le lecteur dans ma situation quand je suis arrivée en Italie la première fois. J’ai voulu l’initier au bonheur de cette langue, en choisissant les termes les plus transparents possibles ! L’italien est une langue proche du français, que l’on comprend instinctivement. Et puis je trouvais ludique de proposer un roman sans traduction. »Paradoxalement centré sur la traduction.

Elle s’affiche dès le titre, qui fait allusion, entre autres, aux belles infidèles. « Stricto sensu, ce sont des traductions qui privilégient la beauté du texte cible à la fidélité au texte source », précise Julien (p.108). Lui-même se laisse hanter par ces belles infidèles, les traque pour finalement les rallier à sa cause. « La question de la fidélité est au cœur de la traduction, convient Romane Lafore. Lorsque l’on traduit, on construit un autre texte. La traduction est par essence une entreprise de transgression. »

Crédit photo : Astrid di Crollalanza

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