Le CHU de Poitiers participe actuellement à une étude clinique relative au Covid-19. Nombreuses en France, elles sont légion à l’échelle mondiale, au point que cette urgence dans laquelle l’épidémie a placé la médecine et la recherche interroge. Et l’éthique dans tout cela ?
Les images de la longue file d’attente qui s’étire devant l’Institut marseillais où travaille le Pr Raoult interpellent. L’infectiologue a présenté la chloroquine comme efficace contre le Covid-19. A tort ou à raison. Le corps médical et plus largement la société se divisent sur cette question qui transcende le simple débat médical. L’urgence dans laquelle l’épidémie a placé la médecine et la recherche fait craindre une course à la solution miracle…
« Enormément de projets sont menés, certains sont observationnels, d’autres explorent des traitements, comme Discovery à l’échelle européenne », explique le Pr Blandine Rammaert. Comme Hycovid également. L’infectiologue coordonne actuellement au CHU de Poitiers cette étude clinique orchestrée par le CHU d’Angers, en collaboration avec une trentaine d’hôpitaux français. « L’objectif est de comparer l’hydroxychloroquine à un placebo. » Les méthodologistes ont évalué à 1 300 le nombre de patients nécessaire et suffisant pour démontrer l’efficacité du traitement. Depuis le 3 avril, le CHU de Poitiers procède donc à leur inclusion, « selon des critères assez drastiques, précise le Pr Rammaert. Par exemple, pour faire partie de l’étude, les patients doivent avoir été diagnostiqués positifs depuis moins de 48h, être hospitalisés avec une forme moyennement sévère du Covid-19 mais nécessitant néanmoins de l’oxygène. » Sur des personnes à un autre stade de la maladie, le traitement pourrait présenter des risques d’inflammations non contrôlées ou des réactions immunitaires qui ne seraient pas dues au virus. Menée « en double-aveugle », « c’est-à-dire que ni le patient ni le médecin ne savent quel traitement a été administré », Hycovid est programmée sur six mois.
« Il y a urgence éthique à faire »
« Je comprends la course aux traitements dans le cadre d’une épidémie sans précédent comme celle-ci et face à des patients que l’on voit mourir, note le Pr Rammaert. Mais si les traitements ne sont pas contrôlés, on peut courir à la catastrophe. Le Mediator en est un exemple. Il est important d’avoir une démarche scientifique. » L’infectiologue en appelle à la prudence et au respect de méthodologies éprouvées.
Le Pr Gil est plus nuancé. « Il faut faire confiance à ces essais cliniques montés par des spécialistes dont le seul souci est de donner plus de chances à leurs patients. » Le directeur de l’Espace de réflexion éthique Nouvelle-Aquitaine met en avant « l’intentionnalité ». « Il faut encourager les soignants à aller jusqu’au bout de leur intention, qui est bonne, avec une méthodologie qu’ils choisissent en leur âme et conscience. » Selon lui, urgence et éthique ne sont pas incompatibles, loin s’en faut. « L’urgence n’est pas contraire à l’éthique. Au contraire, il y a urgence éthique à faire, assène-t-il, citant l’exemple du virus Ebola. « On ne peut pas mener des expérimentations de la même façon si l’on se place sur une longue période ou si l’on ressent une certaine urgence. Parmi les médicaments proposés, beaucoup appartiennent à des classes thérapeutiques déjà connues, ce qui permet de mettre en place des procédures accélérées. Un médecin ne peut pas refuser une perte de chances à un malade. »
La situation met selon lui en lumière d’autres enjeux. « Ces essais thérapeutiques menés tambour battant sont important car la science doit démontrer qu’elle peut travailler dans l’urgence ! » Ce qu’elle fait ces dernières semaines. « Je suis surprise par la capacité que l’on a, en France et en Europe, à mener des études multicentriques de grande envergure et très rapidement, constate avec satisfaction le Pr Rammaert. C’est sans précédent ! D’ordinaire, pour un Projet hospitalier de recherche clinique (PHRC), il s’écoule en général deux ans entre l’idée et la première inclusion de patient… »