Jardin « propre », jardin « sale » ?

Le Regard de la semaine est signé Olivier Pouvreau.

Le7.info

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« J’aime bien quand c’est propre », me dit un voisin avant d’aller tondre sa pelouse. J’avoue que je partage son sentiment. En effet, qui aime la nature lorsqu’elle déborde chez soi ? Qui apprécie le pissenlit poussant entre les dalles de la terrasse, le gazon trop haut et parsemé de plantes « non désirées », l’arbuste « sans forme » ? Qui affectionne la friche, lieu de « nuisibles » dans l’imaginaire collectif ? Globalement personne. Prenons la définition que François Terrasson donnait de la nature : elle est la quantité d’absence de volonté humaine. Autrement dit, c’est par crainte qu’elle nous « envahisse », c’est par peur de perdre la main sur ce qui échappe à notre volonté que nous la réfrénons. D’où notre propension à nous créer et à entretenir un monde aménagé, urbanisé, domestiqué : un monde rassurant, volontairement séparé de la nature… Un monde « propre ».


Revenons aux jardins et aux espaces verts, ces manifestations de notre volonté de restreindre la nature. En France, nous héritons d’une tradition de « jardin à la française » qui recherche des harmonies paysagères géométriques. Ce type de jardin suppose de limiter en permanence la nature dans sa spontanéité. Par ricochet, le jardin ordinaire français ressemble souvent à un désert de vie : des pelouses trop tondues, des haies et parterres de plantes horticoles à faible intérêt écologique, peu de diversité botanique, une maigre variété de milieux. Or, l’une des incidences les plus préjudiciables dans l’entretien des jardins « propres » concerne un phénomène incommensurable : la pollinisation. En effet, quand on ôte les fleurs sauvages, on enlève autant de nourriture (nectar) aux insectes pollinisateurs. Or, ces insectes ont un rôle primordial dans la production des fruits et des légumes, gages de la qualité de notre alimentation. Retenons que 70% des espèces de plantes cultivées dans le monde dépendent en grande partie de la pollinisation par les abeilles ! Lorsqu’on réalise que nous sommes dépendants des fleurs et des insectes pollinisateurs, de nouvelles perspectives s’offrent à nous : pourquoi ne pas tondre ici et laisser là une zone en friche ? Planter quelques horticoles tout en laissant vivre l’origan et le panicaut, spontanés et mellifères ? Ne pas désherber complètement le pissenlit, fleur importante pour les pollinisateurs printaniers ? En somme, entretenir son jardin (et la nature dans son ensemble) au XXIe siècle reviendrait à ramener du « sale » dans le « propre » en lâchant davantage la bride à nos paysages sous contrôle.

Olivier Pouvreau

 

CV express

Bibliothécaire de profession et entomologiste/photographe à mes heures. Ma vie oscille entre les pages d’un livre et les ailes d’un papillon. Je me reconnais dans la préface du naturalise Aldo Léopold dans son ouvrage Almanach d’un comté des sables : « Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas. Ces essais sont les délices et les dilemmes de quelqu’un qui ne le peut pas. »

J’aime : l’individualisme s’il est critique, la bienveillance, la richesse des formes dans la nature, les vieilles pierres et les arbres vénérables, travailler le bois, la créativité musicale, le bokeh en photographie. 

J’aime pas : le langage managérial, la communication d’ambiance, le manque de curiosité, l’absence d’empathie, les personnalités « toutes façades dehors », les connivences politiciennes, l’attitude culturo-mondaine, les stéréotypes.

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