Emmanuel Depoix, les belles utopies du capitaine

Emmanuel Depoix. 59 ans. Fondateur du Barlu de Fortpuy, à Dissay. Un lieu de rencontres artistiques et de spectacle (en chantier) dont il a toujours rêvé. Signe particulier : débarqué dans la Vienne pour suivre son fils, admis à l’école de cirque de Châtellerault.

Arnault Varanne

Le7.info

Ses proches le trouvent « passionné et sincère » autant qu’« excessif et parfois râleur ». Emmanuel Depoix se reconnaît volontiers dans ce portrait en creux dessiné par sa femme Delphine et ses deux fistons, Léo (17 ans) et Jules (14 ans). La famille a débarqué à Dissay un beau jour de l’été 2017, en provenance d’Aulnay-sous-Bois. Léo s’apprête alors à intégrer l’Ecole nationale de cirque de Châtellerault quand son paternel rêve de transformer une ancienne ferme en « lieu de vie culturelle, associative et citoyenne ». « J’ai ce projet en tête depuis des années..., glisse le capitaine du Barlu -bateau, en argot parisien- de Fortpuy, du nom de la rue. Mais à 20, 30 ou 40 ans, j’aimais tellement jouer que ça m’aurait bloqué. » 

Pari audacieux

A presque 60 piges, le musicien-comédien-chanteur-metteur-en-scène-directeur de compagnie se sent comme un poisson dans l’eau à Dissay, entouré par des voisins « formidables ». Son équipage comme il dit. Ceux-là mêmes qui, depuis deux ans, donnent du temps, du savoir et de l’énergie à ce projet associatif à nul autre pareil. « Un lieu disponible à la sensibilité, au partage », abonde-t-il. En amoureux transi de Baudelaire, Emmanuel Depoix cite volontiers cette tirade : « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. » 

Bientôt sans doute, le Barlu foisonnera de propositions artistiques autour de son Cabaret central doté d’un bar associatif. On y viendra jouer, s’amuser, danser, boire, rire, échanger et sourire jusqu’au bout de la nuit. La Région et le Département ont été sollicités pour donner un coup de main au tiers-lieu, lui offrir l’impulsion nécessaire à n’importe quelle traversée en haute mer. Car le pari est audacieux, le capitaine le sait. Mais au cours de la dernière année et demie, il a vu tant de belles promesses, de belles rencontres, qu’il se raccroche à sa bonne étoile et à son énergie communicative. Emmanuel Depoix parle vite et clair. Le quasi-sosie de Robin Williams aimante ses interlocuteurs. 

« Mon prof n’a pas cherché à ce que je sois claveciniste, mais à ce que je devienne heureux »

Sa passion artistique, il la doit à son professeur de clavecin. « C’était un prof magnifique. Plus que de jouer d’un instrument, il m’a appris quelque chose du sens de la vieIl n’a pas cherché à ce que je sois claveciniste, mais à ce que je devienne heureux. » Aux représentations guindées dans des salles « bien fréquentées », le jeune disciple du conservatoire d’Annecy préfère très vite « la marge », « l’interdit ». Comme transformer son clavecin en instrument de percussion. Ou créer son propre spectacle sur Baudelaire, à 26 ans ! Ce « vrai rebelle » a donc vite glissé vers la scène, de théâtre, et le cinéma, mû par ses envies de jeu. La comédie de Saint-Etienne l’a poli, ses expériences professionnelles ont fait le reste. 

Au fil de ses souvenirs, lui reviennent des collaborations avec Jacques Gamblin, Reda Kateb (« il était tout jeune ! »), François Rollin... « J’ai aussi eu l’honneur de travailler et jouer avec Jean-Roger Caussimon, un immense comédien, chanteur et auteur », précise le capitaine du Barlu. Quelques rôles dans Julie Lescault ou Boulevard du Palais ont enrichi son CV artistique, avant qu’il ne décide de monter sa propre compagnie : L’Equipage. Une façon de maîtriser les projets et, surtout, son emploi du temps. Emmanuel a « grandi dans un milieu de femmes » -il n’a presque pas connu son père, décédé très jeune- et s’est donc promis d’être « un père pour (s)es enfants ». 

« Inventer les traversées »

Emmanuel Depoix aime les mots, l’émotion. Les motions aussi, lorsqu’elles ne censurent pas mais ouvrent, au contraire, vers d’autres horizons. Alors le patron du Barlu laisse le soin aux autres d’« inventer les traversées ». Ici, pas de programmation fixe ni de stars annoncées à grand renfort de communication. « Je veux que les gens viennent et soient surpris de leur découverte. » Le 20 novembre, il avait donné rendez-vous à ses fidèles matelots pour une « ultime soirée de fête (en 2020), d’amitié, de partage et de fraternité ». L'épidémie de Covid-19 en a décidé autrement. Il y aurait sans doute eu beaucoup de passion, de sincérité, quelques excès aussi. A son image. « Je ne suis pas un homme paisible », conclut-il dans un bel élan de franchise. Entre autres traits de caractère, il déteste les « spécialistes de tout et la bêtise. » Un conseil : laissez vos certitudes à la porte du Barlu. 

 

 

 

 

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