Iman Haggag cultive 
les langues

Iman Haggag. 46 ans. Egyptienne, née à Alexandrie. Doctorante et traductrice assermentée en langue arabe. Poitevine d'adoption. Férue de culture française, convaincue des mystères et du pouvoir des langues.

Claire Brugier

Le7.info

Son parcours universitaire est riche de langues, de mots, de cultures. Iman Haggag (prononcez Imane) l’a débuté à Alexandrie, sa ville de naissance, et elle le poursuit depuis 2011 entre Poitiers et Paris, avec des escales de six mois à Madrid et Lisbonne. A 46 ans, elle n’en a pas fini avec les langues. Titulaire d’un doctorat en littérature comparée en didactique du français langue étrangère (FLE) décroché en Egypte, elle a entamé en 2015 un deuxième doctorat en didactique en langue et culture étrangères, à l’Institut national des langues et civilisations orientales, à Paris. Après avoir fait la route qui mène de l’égyptien au français, elle suit le chemin inverse en recueillant la parole des étudiants qui ont fait le choix d’apprendre la langue arabe, ou plutôt les langues arabes. Pourquoi ? Comment ? A quelles fins ? « C’est l’autre face du FLE », analyse-t-elle.


« Je ne comprends pas »

Lorsqu’elle a commencé à apprendre le français, dès l’âge de 4 ans, à Notre-Dame-de-Sion à Alexandrie, l’aînée d’un policier devenu avocat et d’une assistante sociale, tous deux francophones, a obéi à une tradition égyptienne qui veut que les filles apprennent la langue de Molière, les garçons celle de Shakespeare. Ainsi fût-il fait pour ses deux petites sœurs et elle, et pour ses trois jeunes frères. Puis la jeune étudiante a découvert qu’« on ne peut pas apprendre une langue en la dissociant de la culture ». Elle a mis à nu les mots, leur rôle dans les liens sociaux. La langue, cette spécialiste en est convaincue, est « une façon de s’approcher de l’autre. En lui parlant dans sa langue maternelle, on crée des liens d’amitié, on écarte les obstacles ».


Iman ne souhaite pas parler de la violence et de la trivialité de l’actualité. Elle préfère l’évoquer à mots couverts, avec l’élégance et la retenue qu’elle met dans sa façon de s’exprimer, dans un français parfait. « Je suis musulmane, glisse-t-elle. J’ai étudié à Notre-Dame-de-Sion, une institution chrétienne non mixte qui est tenue par des sœurs, mais je n’ai jamais pensé à des différences d’ordre religieux, même si nous n’avions pas toutes les mêmes cours de religion. Alors je ne comprends pas... »

Favorable à l’enseignement de l’arabe à l’école, elle interroge : « Mais quel arabe ? Il existe un arabe standard et beaucoup de dialectes selon les pays et parfois même des variations à l’intérieur d’un même pays. » Elle-même y est confrontée au quotidien. Au-delà de ses travaux universitaires, de la traduction de livres pour le ministère de la Culture égyptien et de missions de sous-titrage, elle est en effet traductrice assermentée, depuis 2016.


Dimension humaine

« Je traduis de l’égyptien, du libanais, du marocain, de l‘irakien... », à l’écrit ou à l’oral, en direct, au tribunal ou au commissariat. Son téléphone peut sonner « le week-end, à minuit, à 7h du matin... ». Iman apprécie les impromptus de son emploi du temps, elle reste connectée à son téléphone, à sa boîte mail. Elle se rend disponible. Lorsqu’une question de droit la tracasse, elle s’autorise un appel à son père avocat, « quelqu’un de très sociable, qui a une expérience humaine très riche ». La quadragénaire s’applique à marcher dans ses pas. En tout, elle recherche « la dimension humaine », dans la vie comme dans les livres. « Si je dois citer une œuvre qui a influencé mon esprit, je dirais L’Etranger de Camus, mais aussi l’humour des pièces de Molière, Victor Hugo et ses Orientales, Madame Bovary de Flaubert... » La liste est longue, sans cesse complétée par de nouvelles lectures. « La langue et la littérature françaises font partie de ma vie. » Elle y a initié ses deux enfants, très tôt bercés par des chansons enfantines en français. Poitevine d’adoption, elle retourne régulièrement à Alexandrie mais, confie-t-elle, « j’ai tendance à oublier les noms des quartiers, des rues, des stations... Et je constate que la langue elle-même change ». Consciemment ou non, c’est une fois encore à travers le prisme des mots qu’elle lit les mutations de son pays.

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