« On oublie ce que manger veut dire »

Il faut rendre à l’alimentation ses dimensions sociales et symboliques pour nous redonner le goût du bien manger. C’est en résumé l’opinion de Paul Ariès. Militant de la décroissance et de l’écologie politique, il animera une conférence, ce soir à 18h30, à Buxerolles.

Romain Mudrak

Le7.info

Pourquoi s’intéresser à « ce que manger veut dire » ?
« Nous vivons actuellement une double révolution. D’abord celle du contenu de l’assiette. Tous les spécialistes s’accordent à dire que 80% de ce que nous mangerons dans vingt ou trente ans n’existe pas encore, qu’il s’agisse des OGM, des alicaments, des aliments restruc- turés ou des biotechnologies alimentaires en général. Reste à savoir si nous voulons aller dans cette direction. Mais au-delà, cette révolution en masque une seconde tout aussi importante. On oublie progressivement ce que manger veut dire, autrement dit ce que recouvrent les dimensions sociales et symboliques de l’alimentation. »

Vous voyagez à travers l’histoire de l’alimentation. Qu’apprend-on sur ce second thème ?
« Je suis convaincu qu’il faut regarder très loin dans le passé pour comprendre la situation présente et à venir. Cela nous permet de comprendre les grands invariants. La table française reste largement tributaire de l’histoire. Par exemple, les Egyptiens ont inventé l’alimentation symbolique. Ils ont été les premiers à concevoir la table comme un langage. De leur côté, les Grecs associaient table et partage. Manger seul était un déshonneur. Les Romains ont intégré la notion de plaisir. Les Mérovingiens ont été les premiers à s’asseoir à table avec des amis. La mauvaise nouvelle est venue de la christianisation de la table, qui a détourné le péché de gourman- dise. 99% des gens, les vilains, n’ont plus eu accès à la viande. Ils devaient se contenter de ce qui poussait sous la terre, plus proche de l’Enfer donc dévalorisé. »

Pour en revenir à la première révolution que vous évoquez, celle de nos assiettes, n’y a-t-il pas d’alternatives aux biotechnologies ?
« Si on considère qu’il est simplement nécessaire de se nourrir pour survivre, alors on est prêt à ingurgiter n’importe quoi, notamment de la viande restructurée. En cela, le risque est de rompre le lien millénaire entre l’agriculture et l’assiette. En revanche, si elle prenait en compte les dimensions sociale, symbolique ou gustative, la société serait prête à encourager les bonnes pratiques. Et là, on sait globalement ce qu’il faudrait faire : aller vers une alimentation biologique, l’agroforesterie, la permaculture... La chance de la France réside dans l’importance de sa restauration sociale, c’est-à-dire scolaire, d’entreprise, hospitalière et pénitentiaire. C’est plus d’un repas sur deux. Avec un minimum de volonté politique, on pourrait faire de la restauration sociale un levier pour réussir la transition écologique. Il suffirait de modifier le cahier des charges des marchés publics. »

L’Ecole a-t-elle un rôle à jouer ?
« Moi, j’aime beaucoup manger. Mais ce que j’aime surtout, c’est le partage, le dialogue, ce qui se construit autour. Or, le temps moyen du repas dans une cafétéria de collège est de seize minutes. Les élèves font le plein de nutriments comme on fait le plein d’essence, mais il ne se construit aucune relation humaine. L’enjeu essentiel est là. Au lendemain de la Révolution française, les maîtres d’école avaient trois objectifs : apprendre aux enfants à lire et à écrire, à compter et à différentier les saveurs afin de développer leurs capacités de jugement. Pour moi, l’Ecole doit réapprendre à manger, mais pas uniquement sous l’angle de l’équilibre diététique. » « Ce que manger veut dire : une autre histoire de l’alimentation ».

Conférence de Paul Ariès organisée par la mairie de Buxerolles, l’Espace Mendès-France et l’association Accès aux soins, perspectives et en jeux de la santé (ASPES). Ce soir, à 18h30, à la Maison des projets de Buxerolles.

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