Gildas Nivet, des échecs au succès

Gildas Nivet. 36 ans. Co-gérant de Grenouilles Productions, la boîte qui n’en finit plus de grossir à Poitiers. Réalisateur jamais à court d’idées. Né dans le Libournais, ancien petit prodige des échecs. Père de trois enfants. Signe particulier : adore raconter des histoires.

Arnault Varanne

Le7.info

Si ça veut rigoler, il sera l’homme qui vaut 1 million en 2021. Pas mal pour un gars qui n’a jamais roulé dans une voiture neuve ! Les noms de ses clients noircissent le tableau blanc de la salle de réunion de Grenouilles Productions (audiovisuelles). « Et encore, on n’a pas tout noté ! », glisse, malicieux, le co-dirigeant de la boîte aux neuf ans d’existence, quinze salariés et deux agences, à Poitiers et Bordeaux. Avec son vieux complice Tristan Guerlotté, rencontré sur les bancs de la fac d’arts du spectacle, Gildas Nivet a connu les années de plomb, à galérer pour sortir trois sous du tiroir-caisse. Le co-fondateur du « 23 » a aussi connu l’ostracisme des pouvoirs publics après la journée noire du 10 octobre 2009. « Son » collectif a été largement montré du doigt après les émeutes de Poitiers. Du premier étage de ses bâtiments, il possède désormais une vue imprenable sur la préfecture. Joli pied de nez. « Vous savez, on a 
bac + 0 avec Tristan et pas de parents entrepreneurs. Alors, il a fallu s’accrocher. Au début, on était les mecs les plus heureux de la planète sans une thune. »

Son « kiff ultime » « Raconter des histoires. » Comme celle du Charentais Tanguy Coureau, propulsé vedette d’un programme court baptisé Handisport Go et diffusé sur NoA. Grenouilles a déjà tourné 36 épisodes. Et le feeling avec le « petit frère qu’il n’a jamais eu » ravit Gildas Nivet. Jamais avant, le Saint-Emilionnais de naissance n’avait approché le monde du handicap d’aussi près.

« Mettre des 
branlées aux adultes »

Il rêve maintenant d’emmener Tanguy dans les coulisses des Jeux paralympiques de Tokyo. A dire vrai, ce fils de médecin hospitalier et de sociologue marche aux frissons, aux coups de cœur. Et à l’adrénaline aussi. Il a appris à jouer aux échecs à 
5 ans, s’est très vite révélé être un « petit prodige », façon Le jeu de la dame. Six fois champion de Gironde, cinq fois champion d’Aquitaine, plus jeune arbitre fédéral. Le gamin étonne et impressionne. Il adore « mettre des branlées aux adultes ». Au point qu’en seconde, on lui propose d’arrêter ses études, d’apprendre le russe et de se consacrer à la discipline. « J’ai refusé, ça ne me faisait pas rêver... » D’autant plus étonnant que Gildas ne brille pas par ses résultats scolaires. « Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu la moyenne un seul trimestre au collège. » En revanche, le Kasparov en herbe s’ingénie à « mettre en place les bonnes stratégies de contournement ». Pas une heure de cours manquée, juste des notes catastrophiques et... trois terminales S. Dont la dernière, à Barbezieux, où « on s’est aperçu que j’étais dyslexique ».

Dans le système scolaire actuel, peu d’ados auraient réussi à sortir par le haut de la situation. Mais Gildas s’est accroché à la réflexion de la mère d’une amie : « L’intelligence pour les uns n’est pas la même pour les autres. » Il s’est aussi servi d’un concours d’écriture sur le racisme et l’antisémitisme comme d’un tremplin. « J’ai terminé 11e et seuls les dix premiers étaient récompensés. Mais la Région avait trouvé l’approche intéressante et mon ancien lycée a acheté une caméra pour que je puisse tourner une séquence. » La suite tient à des rencontres, avec Tristan évidemment, mais aussi avec une productrice d’Arte sur l’île de Groix. « Une amie de ma tante qui lui a « vendu » un petit scénario de trois pages que j’avais écrit. » Filmer oui, mais quoi ? Tout ce qui se raconte « sans faire du journalisme ». Jusqu’à ce voyage incroyable de « dix mois au Pérou dont huit en forêt amazonienne » pour découvrir les médecines traditionnelles. Ça a donné El Gran Dragon, projeté au festival Henri-Langlois, en décembre 2012. Près de neuf ans après, le réalisateur reste marqué par « l’expérience d’une vie. Je suis arrivé en fils de toubib et j’en suis reparti vegan. On était parti pour faire un documentaire pour la France, mais quel intérêt au fond ? On a fait un film qui s’adresse aussi aux Amérindiens. »

La paternité l’a apaisé

Là-bas comme ici, Gildas et Tristan ont « improvisé ». « On s’est toujours improvisé cadreur, monteur, réalisateur, chef d’entreprise ! Combien de fois notre comptable nous a dit « Vous allez couler ! » » Le futur pensionnaire de la Confrérie des vins de Pomerol force un peu le trait, mais au fond il dit vrai. On gravit souvent les marches avec du culot et de l’audace. A fortiori dans un « environnement bienveillant » comme Poitiers. Peu de studios peuvent se targuer d’avoir un parrain comme Jan Kounen, réalisateur, entre autres, de Dobermann.

Si, à 36 ans, le Libournais regarde dans le rétro avec la maturité d’un faiseur, il conserve une faconde fleurie et nourrie. Et se projette aussi. Normal quand on est père de famille nombreuse, deux filles de 5 et 3 ans, un garçon de 1 an. La paternité l’a apaisé, lui a fait « du bien ». Pour ses enfants, il rêve d’un monde plus respectueux de la nature. « 50% de la pollution mondiale est liée à l’élevage et au transport d’animaux. Vous vous rendez compte ? » Le 
réalisateur et producteur prône un retour à la sobriété. Et d’ailleurs, Grenouilles Productions prépare avec d’autres un docu qui sera diffusé en novembre sur Arte : Les Alliés du potager. « Un Microcosmos en mieux », se marre-t-il entre deux parties d’échecs.

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