Les mots, la vie, la mort

Le Regard de la semaine est signé Didier Moreau, directeur de l'Espace Mendès-France, à Poitiers.

Le7.info

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Récemment, un ami érudit et cultivé rappelait un épisode oublié de l’histoire européenne, épisode d’histoire des sciences terrible et plein de leçons. Au XIIIe siècle, Frédéric II de Sicile développa une cour férue de sciences. Son intention : « Connaître les choses comme elles sont. » C’est le chroniqueur franciscain Salimbene de Adam qui témoigne des sentiments mêlés de fascination et de craintes que provoquait dans le monde chrétien la curiosité scientifique telle qu’elle était pratiquée et mise en scène à Palerme. 

La croyance dans le mythe d’une langue naturelle et universelle est très ancienne, elle remonte à l’Égypte et passionnait le souverain. Salimbene de Adam relate ce fait : « (Il) voulut faire une expérience pour savoir quels seraient la langue et l’idiome des enfants, à leur adolescence, sans qu’ils aient jamais pu parler avec qui que ce fût. C’est ainsi qu’il ordonna aux nourrices d’allaiter les enfants […] avec la défense de leur parler. Il voulait en effet savoir s’ils parleraient la langue hébraïque, qui fut la première, ou bien la grecque, ou la latine, ou l’arabe ; ou s’ils parleraient toujours la langue des parents dont ils étaient nés. Mais il se donna de la peine sans résultat, parce que les enfants ou les nouveau-nés mourraient tous. »

L’absence d’éthique d’une telle expérience, s’il est prouvé qu’elle a vraiment eu lieu, nous renvoie à notre monde contemporain, ses peurs, ses engouements. La place des sciences a toujours été observée, commentée. En ce sens
« nihil novi sub sole »(*), elle importe, implique, questionne. Elle fait l’objet de considérations ambivalentes. Mourir de ne pouvoir apprendre à parler est une émouvante métaphore. Si les mots sont autant de liens entre nous, ils sont surtout les briques d’un langage qui fabrique notre communauté. La communication reste un élément indispensable à la vie. L’être humain est « biologique », ce qui lui permet de vivre, mais c’est avant tout un être social et culturel. A l’ère d’un numérique qui érode potentiellement le sens des mots, se pose ainsi l’enjeu de la transformation qui naît sous nos yeux. Et à propos de Frédérique II et de culture, finissons avec François Truffaut, à Cannes en 1959 : « C’est à l’expérience de l’empereur Frédéric que nous avons pensé en écrivant le scénario des 400 coups. Nous avons imaginé quel serait le comportement d’un enfant ayant survécu à un traitement identique, au seuil de sa treizième année, au bord de la révolte. »

(*)Rien de neuf sous le soleil.

CV express

Formé à l’université de Poitiers avec une double compétence économique et scientifique, je suis directeur de l’Espace Mendès-France depuis mai 1991. Mes responsabilités nationales dans la culture scientifique et mon expérience d’élu local m’ont apporté beaucoup. J’accompagne avec bon- heur les projets de mon ami Edgar Morin, des acteurs de la Grande muraille verte et du Pacte mondial des jeunes pour le climat.

J'aime : Victor Hugo, Montaigne, la Louisiane, Quentin de la Tour, la politique, les jardins remarquables, les enthousiastes, Jules Verne, la pierre du Périgord noir, la convivialité.

J'aime pas : les mégots de cigarettes, le simplisme, les péremptoires, la vindicte, l’individualisme, les im- patients congénitaux.

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