Nettoyer le langage et les icebergs

Le Regard de la semaine est signé Paul Dequidt.

Aujourd’hui, je vous propose un jeu : nous allons explorer les mots. Dans une conversation ordinaire, en famille ou entre amis, nous nous comprenons plutôt bien les uns les autres. Nous utilisons des mots, communs, dont chacun semble partager la signification. Mais ce n’est en réalité qu’une illusion, car constamment nous employons des « mots-icebergs ». On en voit la partie qui flotte et tant que la conversation reste superficielle, tout va pour le mieux. Mais dès qu’il s’agit de concepts, d’émotions ou tout simplement de vécu, la partie submergée de l’iceberg devient palpable. Les mots se colorent, deviennent personnels, sensibles. Et si l’on n’y fait pas attention, cela peut être source de mauvaise communication, de dissonance.

Un exemple. Imaginez : l’autre jour, j’étais chez mes parents, dans la cuisine. J’ouvre le frigo, et je vois une assiette avec un gâteau. En lisant ces phrases, vous suivez mon récit. Les mots sont simples, vous les comprenez et vous pouvez vous représenter la scène. Mais il est très probable que, dans votre représentation, vous vous retrouviez chez vos parents, dans leur cuisine, face à leur frigo, et que vous n’ayez pas imaginé qu’il s’agissait d’un gâteau à l’orange ! Dissonance.

De manière inconsciente, chacun des mots que nous utilisons est codé par notre vécu. C’est pourquoi, le jeu que je vous propose consiste à explorer comment les mots nous affectent. On peut faire remonter à la surface le contenu inconscient des mots, avec quelques questions. « Qu’est-ce que ça t’évoque ? En quoi est-ce important ? Qu’est-ce que ça t’apporte ? C’est-à-dire ? ». 
Essayez avec vos collègues, c’est toujours très amusant et les réponses sont souvent inattendues.

Ce sont des questions puissantes. Vous pouvez trouver les vôtres, bien sûr. Et en les pratiquant, avec de l’observation, vous serez en mesure de mieux comprendre vos interlocuteurs. Moi, j’appelle ça 
« nettoyer le langage ». Non pas pour se débarrasser du contenu émotionnel et inconscient des mots, mais au contraire pour le faire ressurgir, pour explorer ce qui est implicite. C’est très utile, par exemple, sur le langage politique. En ces temps présidentiels, que cachent, pour leurs locuteurs, les notions d’identité, de liberté, de travail, de progrès, d’égalité, de République ? La politique regorge d’affects. C’est pourquoi, il est bon d’avoir dans sa poche quelques questions malines pour nettoyer le langage et éviter le naufrage... sur un iceberg. 

CV express
Docteur en Traitement du Signal, une discipline entre la physique et l'informatique. J'ai travaillé sur l'étude de tumeurs cérébrales par intelligence artificielle. Passionné de neurosciences et de psychologie, j'aimerais que mes recherches permettent de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. En 2021, j'ai remporté le concours national « Ma thèse en 180 secondes » : un aboutissement pour moi qui ai beaucoup travaillé la communication !

J'aime : les sciences (dures et sociales), la rhétorique, la politique, les blagues, les couleurs vives et la tarte au citron.

Je n'aime pas : les mensonges, les façades, le climatoscepticisme ordinaire, l'individualisme et les bananes.