Caroline Chu-Bouhours, la vie devant elle

Caroline Chu-Bouhours. 51 ans. Née à Hô Chi Minh-Ville du temps où elle s’appelait Saïgon. Depuis septembre directrice du CFPPA de Montmorillon. Femme de caractère, curieuse de tout, fidèle en amitié. Envisage la vie comme un combat quotidien.

Claire Brugier

Le7.info

De temps à autre, Caroline Chu-Bouhours se demande ce qu’aurait été sa vie si ses parents n’avaient pas décidé de quitter la Norvège pour s’installer en France… La fillette de 9 ans venait de passer à Kristiansand « la période la plus heureuse de [sa] vie ». Mais une fois de plus, « la vie a fait que ». 
Dans la bouche de l’actuelle directrice du Centre de formation et de promotion professionnelle agricole (CFPPA) de Montmorillon, la phrase revient régulièrement, sans fatalisme. Elle est au contraire pleine des défis que la néo-Montmorillonnaise de 
51 ans a déjà relevés ; elle augure aussi les prochains. « Le combat continue au quotidien, il faut toujours lutter. »

Née dans une famille de l’intelligentsia vietnamienne, à une époque où Hô Chi Minh-Ville s‘appelait Saïgon, Caroline Chu-Bouhours a d’abord connu la douceur de vivre, jusqu’à l’âge de 5 ans. Le 30 avril 1975, les forces communistes s’emparent de la ville. C’en est fini de la légèreté. La famille est coupable de son « passé colonial ». Le père de Caroline, professeur de biologie à l’université et directeur de plusieurs écoles, est arrêté pour être interrogé. « Nous avons vécu une période difficile, de déchéance de la famille. Nous avions changé de régime, nous avons dû déménager, j’ai quitté l’école française, nous manquions d’argent... » Les souvenirs sont là, indélébiles, le débit est rapide, la voix enjouée malgré la gravité de l’histoire.

« Soit on réussissait, 
soit on mourait »

Quatre ans plus tard, à bord d’une embarcation de fortune, la famille quitte le Vietnam, venant grossir le nombre des « boat people ». « Soit on réussissait, soit on mourait, raconte la quinquagénaire. Au bout de quatre ou cinq jours de voyage, nous avons été attaqués par des pirates thaïlandais en mer de Chine. » Bien qu’ils aient dépouillé la famille et cassé le moteur du bateau, 
Caroline les qualifie aujourd’hui de « gentils pirates ». Pourtant, « à 8 ans, je me suis dit qu’on pouvait mourir », avoue-t-elle. La nuit suivante, son père leur donne à tous un somnifère, au cas où il y aurait une tempête, au cas où… Mais finalement, dans l’après-midi du lendemain, un pétrolier norvégien les repêche.

Après un mois passé en zone d’attente à Singapour, Caroline entame une nouvelle vie en Norvège. « C’était la liberté et l’insouciance », résume-t-elle. Une époque dorée qui ne durera que deux petites années, assez toutefois pour créer des liens indéfectibles avec le pays, ses amis d’alors et « cette langue qui n’est pas si difficile que ça ! » Le norvégien lui est resté familier. 
« J’ai toujours aimé apprendre les langues étrangères. Quand on maîtrise la langue d’un pays, on comprend davantage les gens. »

L’adaptation à la vie française, à partir de janvier 1980, s’est révélée plus âpre. « J’ai été balancée en CM2, je ne comprenais rien, j’avais des zéros. Il y avait la barrière de la langue, des rythmes scolaires différents, des notes qu’il n’y avait pas en Norvège. Tout était à refaire. » De quoi en décourager plus d’une, pas elle. « Cela m’a forgé le caractère. Il était hors de question que je redouble ! Alors j’ai beaucoup travaillé, je suis passée en 6e et, à partir de cette époque, j’ai bien aimé l’école. » Fini les zéros en dictée. La deuxième d’une fratrie de quatre enfants a caracolé en tête de classe. Quelques années plus tard, elle a décroché un master II en marketing international, émaillé de plusieurs stages en Allemagne, son autre pays de cœur. « J’y ai connu ma première expérience en entreprise, chez un grossiste en appareils électro-ménagers. C’est là que j’ai véritablement appris le marketing. » Tant et si bien qu’elle l’a ensuite enseigné, à Saumur d’abord, pendant treize ans dans un BTS option vins, bières et spiritueux.

« Je me suis passionnée pour le vin »

« A l’époque, en Asie, on buvait surtout des alcools forts, comme le cognac, ainsi que de la bière. Les moins fortunés avaient le saké. » La découverte a donc été totale. « Je me suis passionnée pour le vin. J’ai d’ailleurs gardé beaucoup de contacts avec d’anciens étudiants, des négociants, des viticulteurs. » Puis autre lieu, Angers, autre spécialité, les jardins et végétaux d’ornement, et treize nouvelles années à enseigner en BTS technico-commercial.

En septembre dernier, la maman de deux grandes filles a atterri à Montmorillon, avec dans ses bagages toutes les amitiés nouées au fil de ses précédentes escales. Son parcours ? 
Rien que de très ordinaire à ses yeux. Son tempérament ? « On me dit que j’ai du caractère », lâche-t-elle presque incrédule. Voyageuse au long cours, Caroline a déjà visité trente-six pays. Quant au Vietnam… « Je suis la seule parmi les enfants à ne pas y être retournée, confie-t-elle. La vie a fait que je n’ai pas encore eu l’occasion de le faire. »

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