Sous le silence de l’oubli

Le Regard de la semaine est signé Didier Moreau.

Le7.info

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L’été incite à des sujets légers, qui auraient, paraît-il, la faculté de détacher des contingences d’une année pleine d’aléas et d’ennuis. C’est peut-être vrai. J’avais pourtant envie de livrer à votre réflexion une interrogation née voici peu lors de la réapparition de manuscrits de Louis-Ferdinand Céline. Un évènement surmédiatisé et largement commenté. Auteur contemporain le plus traduit à l’étranger après Marcel Proust, Céline publie des pamphlets dans lesquels il prône la haine raciale : Bagatelles pour un massacre, en 1937, ou L’École des cadavres, l’année suivante. Il les dédicace ainsi : 
« Je viens de publier un livre abominablement antisémite, je vous l’envoie. Je suis l’ennemi n°1 des juifs ! ». Céline soutient publiquement la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Voyage au bout de la nuit mérite d’être lu en faisant abstraction de tout cela, dont acte.

Mais, car il y a un mais, que penser de cette accélération médiatique récente, ne rappelant pas, pour une déontologique mise en perspective, la littérature de résistance et ses figures ? 
Pas un mot sur Le Silence de la mer, chef-d’œuvre d’humanité. Son auteur, Jean Brueller, dit Vercors, son nom de résistant, met en scène l’impossible dialogue entre un officier allemand, féru d’art et de culture française, et ses « hôtes », 
résistant par leur mutisme à cet envahisseur. Lors d’une permission à Paris, il prend conscience des véritables intentions de son pays. Ses amis, nazis convaincus, lui expliquent pourquoi conquérir la France car il s’agit de détruire l’esprit français. Le désespoir va alors s’emparer de lui, un déchirement sans retour, insoluble, qui le conduira à finir sur le front de l’est, fossoyeur des impérialismes.

Cette parabole rédigée à l’été 1941 annonçait le pire qui allait venir. La diffusion clandestine du livre de Vercors, texte culte en son temps, préfigurait beaucoup de choses, et avant tout que le temps du silence était passé, que l’heure de la lutte avait sonné face aux barbaries, aux atteintes faites aux êtres et à l’esprit.

Jean Brueller fut l’un des fondateurs des indispensables Éditions de Minuit dont le manifeste de création est une ode à la liberté de penser, de créer, à la culture tout simplement. Le diktat des occupants nazis aux libraires -« N’exposez plus dans vos vitrines Shakespeare, Milton, Keats, Shelley, les poètes et les romanciers anglais de tous les temps »- fut combattu par cette maison de résistants dont l’expression est une adresse faite à notre époque. « Toute régression doit stimuler une résistance et toutes les résistances constituent des îlots de sauvegarde des valeurs essentielles... », nous rappelait en 2020 Edgar Morin, qui fêtera ses 101 ans le 8 juillet prochain. Bel été, léger et vigilant !

CV express 
Formé à l’université de Poitiers avec une double compétence économique et scientifique, je suis directeur de l’Espace Mendès-France depuis mai 1991. Mes responsabilités nationales dans la culture scientifique et mon expérience d’élu local m’ont apporté beaucoup. J’accompagne avec bonheur les projets de mon ami Edgar Morin, des acteurs de la Grande Muraille verte et du Pacte mondial des jeunes pour le climat.

J'aime : Victor Hugo, Montaigne, la Louisiane, Quentin de la Tour, la po- litique, les jardins remarquables, les enthousiastes, Jules Verne, la pierre du Périgord noir, la convivialité.

J'aime pas : les mégots de cigarettes, le simplisme, les péremptoires, la vindicte, l’individualisme, les impatients congénitaux.

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