Elle s’appelait Rachel

En 2021, les élèves de CM2 de l’école Coligny-Cornet, à Poitiers, ont entrepris avec leur institutrice Patricia Duchadeuil un travail de reconstitution de la vie de Rachel Friedmann, une écolière déportée en 1942. Un projet de classe pas comme les autres.

Claire Brugier

Le7.info

A l’origine était… un registre d’appel de l’année scolaire 1941-1942. Il était entreposé avec d’autres plus récents, pour la plupart des années 1970, dans un grand placard bleu de l’ancienne école de filles Cornet, à Poitiers. Des listes de noms, des croix de présence… « et puis plus rien ». Troublée par cette découverte, Patricia Duchadeuil s’est surprise à taper les noms des écoliers juifs sur le site du Mémorial de la Shoah. « Et j’ai craqué sur sa petite bouille… », 
raconte l’actuelle directrice de l’école Coligny-Cornet en désignant la photo d’une fillette. Rachel Friedmann, née le 29/05/1934, à Metz. Convoi n°55. L’enseignante a poussé plus avant les recherches jusqu’à reconstituer la famille de Rachel, notamment ses huit frères et sœurs. « Emotionnellement, cela faisait beaucoup. » 
Lasse d’affronter seule cette mémoire douloureuse, elle a partagé ses travaux avec sa classe de CM2. « J’avais préparé un powerpoint que je leur ai présenté, en présence de l’infirmière scolaire, précise l’enseignante. Il y a eu des pleurs, beaucoup d’indignation… Nous avions déjà travaillé à l’expression des sentiments à partir des photos d’Ovlac, un photographe franco-israélien. Alors, spontanément, les enfants ont lancé l’idée d’un film. » Et ils se sont mis à l’ouvrage, qui pour prendre des photos du chemin emprunté par Rachel et ses frères Jacques et Bernard depuis leur maison du 7, rue de la Croix-Rouge, qui pour faire des recherches sur l’histoire… Restait à mettre en forme un scénario. « Nous avons discuté du texte collectivement, souligne Patricia Duchadeuil. Les enfants ont aussi écrit beaucoup de poèmes. » Toujours à la première personne du singulier, celle de Rachel.

Projet pluridisciplinaire

« C’est un projet pluridisciplinaire qui nous a permis de travailler sur l’histoire, l’éducation morale et civique, la citoyenneté, la production écrite, la production orale, les arts plastiques…, souligne l’enseignante. Je voulais aussi que les enfants comprennent que le travail d’historien n’est jamais terminé, qu’il ne faut rien lâcher et qu’eux aussi participent à la mémoire. » D’une grande richesse humaine et pédagogique, l’initiative a reçu le soutien de l’inspection académique et l’adhésion de tous les parents. Elle a aussi bénéficié de l’expertise de l’historien Paul Lévy, de la chanteuse Shirel, du metteur en scène et comédien Bernard Bitan et d’Ovlac. Il en résulte « un petit film d’école »(*),
minimise avec humilité Patricia Duchadeuil. Sur fond de photos et documents divers, les écoliers, désormais collégiens, prêtent leurs voix au quotidien de Rachel. La plaque commémorative qui orne depuis septembre 2021 l’un des murs de la cour, c’est leur idée, comme le cerisier qui pousse non loin et fait écho à l’histoire tragique de la fillette. « Sans eux, cela n’aurait pas été possible. Ils ont imprimé à ce projet leur prise de conscience, leur investissement émotionnel et réel. Quand je passe devant la plaque, je vois les enfants, confie l’enseignante qui n’a jamais cessé d’explorer le destin tragique de Rachel et des siens. J’ai continué mes recherches après le film. Et je continue encore. »

(*)Le film a été déposé au Mémorial de la Shoah et confié à l’inspection académique pour une diffusion pédagogique.

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