Aujourd'hui
Alain Jomier. 60 ans « et des brouettes ». Né dans une ferme au pays de George Sand. Propriétaire du château de Saint-Bonnet à Lencloître. Jamais rassasié de culture. Longtemps réalisateur pour Arte, aujourd’hui moutardier. Son credo : ne rien regretter.
Après avoir passé des décennies à apprivoiser les caméras, Alain Jomier a arrêté de dire « Moteur ! » ou « Coupez ! ». « Peut-être que je l’ai trop dit… » Longtemps réalisateur pour la télévision, l’homme n’est pas du genre à tergiverser. « J’ai toujours fait ce qui me plaisait, alors ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à faire ce qui ne me plaît pas ! » Depuis quelques années, le Berrichon d’origine se consacre au château de Saint-Bonnet et à la moutarde de Lencloître telle que la préparaient les sœurs fontevristes au XVIIIe siècle. L’histoire est digne d’un conte, une histoire de château, de vieux grenier où dorment des papiers jaunis, de recette oubliée… Le dernier moutardier lencloîtrais, François Naudin, est décédé en 1895 et son jeune successeur, « né en 61, ce qui doit faire quelque chose comme 60 ans et des brouettes », n’est pas au bout de ses expérimentations. « J’ai travaillé plus longtemps à l’élaboration qu’à la commercialisation ! », lâche-t-il. Il est même allé jusqu’au monastère de Martigné-Briand (Maine-et-Loire) dégotter un atelier de céramique pour reproduire à l’identique les pots originels… Parallèlement, le passionné a entrepris la restauration de Saint-Bonnet, dont il occupe depuis 2018 des dépendances. « Le château était abandonné depuis vingt ans, il a fallu qu’on y aille à la machette, les radiateurs avaient explosés, les parquets étaient pourris… Il y avait encore la vaisselle dans les placards, les draps dans les lits ! » Et au grenier des papiers à foison, « des archives militaires sur les préparatifs de l’invasion d’Alger de Nicolas de Loverdo, général de l’armée napoléonienne », des livres de cuisine aussi… Et puis d’intrigants feuillets sur la moutarde. « Il fallait que j’essaie !, lâche le « fou de cuisine » convaincu que « la seule manière d’être heureux, c’est de ne rien regretter ».
« Fils de paysan berrichon »
« J’ai eu une enfance extrêmement libre, rurale, très formatrice », raconte le « fils de paysan berrichon ». Aîné d’une fratrie de trois garçons, il a grandi dans une ferme du Petit Besse (Cher), à 7km du premier village. « Le Berry, c’est ça : une ferme et le pays de George Sand », résume Alain, évoquant « presqu’une enfance de livre », émaillée d’incursions sur les chantiers de fouilles voisins de Châteaumeillant, connu pour ses caves à amphores. Lui aurait bien poursuivi dans le domaine mais « l’archéologie avait quelque chose de bohême ». Quant à l’agriculture, « on m’en a dissuadé ». Le lycéen s’oriente donc vers un bac E, mathématique et technique, au lycée Pierre-Emile-Martin de Bourges. « Et puis pouf ! Pendant ces deux années d’internat, je découvre un monde que je ne connaissais pas : la culture. » Et son temple berruyer, une Maison inaugurée par André Malraux en 1964. Alain y croise de grands noms, Vladimir Jankélévitch, Henri Tachan, Léo Ferré… « Mais les spectacles ont lieu le soir. » Alors il négocie ses soirées auprès de la direction du lycée et « [se] fabrique une culture. » Il décide même de sacrifier ses études sur l’autel de la peinture et du dessin. Heureusement, « bonté du calendrier », avant d’être recalé au bac il obtient le concours d’entrée aux Beaux-Arts.
« La vie me pousse, les gens me poussent »
Il y passe cinq ans, goûte à la vidéo et apprend « sur le tas ». Il devient assistant réalisateur à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) « pour ce qui était une préfiguration des programmes courts de Canal+. Cela s’appelait Une Minute pour trouver ». La direction artistique était assurée par Philippe Truffault, que le destin replacerait sur sa route quelques années plus tard. En attendant Alain réalise « [ses] premiers épisodes pour « la vraie télévision », [ses] premiers directs sur le Printemps de Bourges avec des artistes comme Gainsbourg, Renaud, Murray Head... »
25 ans de Dessous des cartes
Son diplôme en poche, le jeune homme met la main à « des petits films institutionnels, des films musicaux… Un peu tout, il faut manger ». Il intervient sur Décibels de nuit, l’émission rock de France 3. Et puis Michel Bompierre, le directeur de l’école des Beaux-Arts de Poitiers, le sollicite pour créer un atelier vidéo composite. A 24 ans, il devient « le plus jeune prof titulaire des Beaux-Arts » et y reste jusqu’à une proposition de Philippe Truffault, devenu directeur artistique de La Sept. L’habillage d’antenne et les programmes courts graphiques deviennent son quotidien. En 1990, Jean-Christophe Victor, le fils de l’explorateur Paul-Emile, lance Le Dessous des cartes. Alain en est, pour la Sept puis pour Arte, pendant vingt-cinq ans. En parallèle il réalise des documentaires. Certains le font voyager au Soudan, au Barheïn, au Liban, au Yémen, en Egypte… A la mort de Jean-Christophe Victor, celui qui se dit désormais « assez casanier » s’éloigne peu à peu des plateaux télé. « En général, plutôt que de m’user, je préfère partir et commencer quelque chose de différent. La vie me pousse, les gens me poussent. Si je suis ici, c’est parce que des gens, à un moment donné, m’ont accordé un peu de temps. » Alain tient à sa liberté. « Je suis égoïste et amoureux, analyse-t-il. Je garde et je donne. » Et s’il semble évasif sur son âge, ce n’est pas pour éloigner le temps qui passe, juste par ce qu’il « n’aime pas les choses entendues ».
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