« Les villes tentent un rééquilibrage »

Les quartiers dits prioritaires sont parfois l’objet d’une stigmatisation. Dominique Royoux, sociologue et géographe à l’université de Poitiers, apporte un éclairage sur leur évolution en guise d’introduction à notre nouvelle série Nos quartiers ont du talent.

Eva Proust

Le7.info

Comment sont nés ces quartiers prioritaires ?

« Les quartiers qu’on appelle aujourd’hui « prioritaires » se sont surtout développés dans les villes de plus de 20 000 habitants. A partir de 1955, démarre une politique de construction des HLM en France, accélérée par les progrès de l’industrialisation. C’est le temps de la création des ZUP (Zones à urbaniser en priorité). Au départ, il s’agit de quartiers sociaux très mixtes socialement, ethniquement et professionnellement, où médecins, ouvriers, enseignants se côtoient. Des services s’y sont peu à peu installés, des écoles, des commerces. Des atouts qu’ils ont conservés. C’est vers ce retour mythique qu’aspirent les politiques publiques d’aujourd’hui pour les quartiers. »

Qu’est-ce qui a causé une fracture ?

« Il y a eu une bascule dans les années 1980. Avec l’ouverture du crédit d’accession à la propriété, l’État a encouragé les plus aisés à quitter ces ensembles pour s’installer en périphérie des villes, dans des zones pavillonnaires. Les populations les plus modestes sont devenues prisonnières de ces quartiers. Les HLM faisaient figure d’étape : un premier logement pas cher, puis l’achat d’une maison. Cela a commencé à marquer la fin de la mixité sociale, aggravée avec la crise économique de 1973. S’est aussi présenté le problème de la maintenance de ces grands bâtiments pour les collectivités, ce qui laissait moins de budget pour mener des politiques sociales.
A Poitiers, les Couronneries s’en sortent le mieux. Malgré les émeutes qui ont récemment marqué la place de Provence, de grands efforts sont faits pour le rendre attractif. Il y a des professions libérales, dans le droit ou dans la santé, qui y sont installées. Ce qui n’exclut pas des disparités importantes dans certains secteurs. On constate par exemple que le taux de pauvreté est plus élevé rue Coubertin ou rue de Slovénie. A l’inverse, les Trois-Cités est le quartier le plus en difficulté, avec le plus haut taux de pauvreté
(ndlr : 57 % de ses habitants ont un revenu inférieur au revenu médian en France, selon la préfecture). Ça ne signifie pas qu’il ne s’y passe rien, le centre socioculturel est toujours très mobilisé par exemple. Concernant Châtellerault, la récente fermeture du centre socioculturel d’Ozon est très problématique, car dans ces quartiers ce sont les acteurs de terrain qui permettent de compenser. Même si on constate que la relance est en cours, les conséquences de la crise industrielle sont plus fortes à Châtellerault qu’ailleurs. En 1962, les harkis ont peuplé Ozon sans problème, il y avait beaucoup d’offres d’emploi donc une mixité sociale fluide. C’est la conjugaison de la crise économique durable et l’incitation à la propriété individuelle qui a créé une rupture, qui dure encore aujourd’hui. »

Comment les politiques publiques peuvent-elles intervenir ?

« On constate que les villes tentent un rééquilibrage mais ont des difficultés à articuler les politiques de réhabilitation avec des politiques sociales en matière de formation, d’accès à l’emploi, à la culture, aux services de santé. Les charges des HLM sont souvent devenues trop élevées pour ces populations. Tout a été fait à l’énergie électrique, ça ne coûtait pas cher en 1970, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces quartiers se sont enfoncés dans la crise et c’est ce qui a contribué à leur stigmatisation. Mais il faut noter des efforts importants. Les offices HLM sont en tête des financeurs de ces modernisations, devant les collectivités territoriales et l’État. Ils savent aussi ne pas refaire les erreurs passées, comme avoir bâti trop de tours, de barres d’immeubles, créant un sentiment s’étouffement qui a rebuté la population à s’y installer. A Poitiers, cela a été corrigé lors de la réhabilitation de la Blaiserie à Bel-Air, où les logements sociaux sont de petits ensembles agréables à vivre. Les classes moyennes y sont revenues, avec moins de renouvellement. »

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