Gilles Fromonteil, 66 ans. Sculpteur, céramiste, plasticien dans son atelier d'Archigny. Confronte l'art et l'histoire. Interroge les personnes et les idées.
Eclectique et spontané, mais authentique et réfléchi. Plus le regard passe de sculpture en sculpture, plus on s’interroge sur le « pourquoi de l’art » de Gilles Fromonteil. Ce grand drapeau communiste au mur à côté d’un relief de tête de bouc, ces personnalités politiques figées dans la céramique ou la porcelaine. Des Napoléon sur des cafetières, des bustes d’Angela Merkel, ou des Mandela, des Reagan, des Thatcher un peu plus bas sur l’étagère. Il y a aussi de nombreux cerfs parés des couleurs des drapeaux du monde. Et tous ces chevaux, les quatre fers en l’air, aux regards affolés, ornant des faïences émaillées. « J’ai beaucoup de sentiments pour ces animaux qu’on voit à la renverse dans les peintures de bataille, confie le sculpteur. Ces pauvres bêtes n’ont rien demandé. Elles ont fait des millions de victimes collatérales pendant les guerres. »
Sans doute est-ce un questionnement sans réponse. Sans réponse objective du moins. Ce qu’il veut, c’est « titiller » l’histoire. « Interroger », le mot revient souvent. On dit de lui qu’il « triture à la fois la terre et l’histoire ». Mais la sensibilité qui se dégage de ces chevaux donne une tout autre perspective à l’artiste, sans doute aussi proche de la nature que de la culture. « Je dirais que mon art regarde la politique, l’humanité. Elle se croit cheffe de tout, des autres, du monde. Je raconte ça en sculptant. »
A la table de Georges Marchais
L’art, Gilles a commencé tôt. A 14 ans, il a déjà un petit atelier aménagé dans l’appartement de fonction de sa mère, Jeanne, alors « directrice du collège Victor-Hugo » de Poitiers. Mais la politique, il est né dedans. Et sans doute grâce à elle. Car si son père Paul, membre du Parti communiste français (PCF), n’avait pas été chassé de Tours en 1950 après avoir saboté l’acheminement de ressources pour la guerre d’Indochine, « peut-être n’aurait-il jamais rencontré ma mère dans la Vienne ». Paul Fromonteil était secrétaire de Georges Marchais. Jeune adulte, Gilles mange à sa table, participe aux réunions du Parti et découvre peu à peu ce qu’est la promesse communiste d’un avenir meilleur pour tous.
Entré après son bac aux Beaux-Arts de Poitiers, il décide, à 24 ans, de passer le concours des Beaux-Arts de Paris. « Mes parents n’étaient pas très convaincus, alors à côté j’ai fait des études d’histoire de l’art à la fac, sur l’art roman. » Mais ce qu’il veut, c’est créer, sculpter. Il arrête ses études en master 1,
enchaîne des petits boulots jusqu’à prendre la présidence de la caisse de sécurité des artistes de France et de Navarre, en 1992. L’appel de la création est toujours là. Avide de calme, il rejoint le Châtelleraudais en 2002 pour s’installer dans la maison de campagne de ses parents et quitte son poste de président de la caisse en 2011 pour se tourner vers la sculpture. En 2017, il investit l’ancienne laiterie coopérative d’Archigny, qu’il loue à la commune. « Un lieu de silence, propice à la réflexion. Même si on se gèle l’hiver. » Un lieu idéal pour interroger. « Un laboratoire, où l’utopie se confronte à la réalité », précise l’artiste. Comme pour figer ses souvenirs d’enfance et les remettre en perspective. « Qu’on soit d’accord ou pas n’est pas ce qui importe, c’est la fidélité à une idée qui fait la beauté. Nous étions une génération pleine d’espoirs. Pour les jeunes d’aujourd’hui, je pense que c’est difficile de croire en quelque chose... ».
L’hommage au PC en BD
Puis vient la rupture, le Covid. Et les repères qui volent en éclats, l’un après l’autre. Sa mère décède en 2019. Son père, en 2020, d’un infarctus au sortir d’une réunion politique. « Militant jusqu’à son dernier souffle », à l’âge de 90 ans. Et pendant ce temps, la pandémie a mis en suspens les expositions et les rencontres. Gilles quitte son travail à Paris -il a donné des cours aux Beaux-Arts- pour se consacrer entièrement à son atelier d’Archigny. « Je voulais rendre hommage à mes parents, trouver un moyen de raconter leur histoire à mes deux filles. » Il opte pour la bande-dessinée et publie, en 2021, Les Cheminées rouges sur l’histoire du Parti communiste châtelleraudais dont ses parents ont été des membres très actifs. « La Résistance est un sujet qui me touche. Beaucoup sont morts jeunes, à 22 ou 23 ans, parce qu’ils croyaient à une vie meilleure. »
Si Gilles Fromonteil, 66 ans, a désormais du recul sur le parti politique qui a accompagné une grande partie de sa vie, il en a conservé la culture du partage et de la mise en commun. Avec, toujours, un point d’honneur à œuvrer « pour le service public »,
les musées et les expositions. « Ça n’aurait pas de sens pour moi que mon travail ne soit pas accessible, je veux qu’il soit vu par des familles, aller chercher leur regard. » Le sculpteur envisage également de partager son savoir avec des étudiants en résidence, qu’il souhaite accueillir en 2024 au sein de son atelier. Et comme pour couronner son engagement artistique, créer une fondation « pour tout donner », à la fin, à de jeunes artistes. « Qu’ils titillent cette réalité. Et qu’ils continuent toujours à questionner. »