Une vie à l'hôpital

Pour la deuxième saison consécutive, Le 7 pose ses valises dans le bureau de figures locales, en quête de ce qui fonde leur méthode de travail et témoigne de leur personnalité. Troisième volet dans le bureau du Pr Roger Gil, neuropsychiatre, professeur émérite de neurologie, doyen honoraire de la Faculté de médecine et pharmacie de Poitiers et directeur de l’Espace de réflexion éthique de Nouvelle-Aquitaine (Erena).

Claire Brugier

Le7.info

La table de ferme 
A la retraite depuis 2011, le Pr Gil a désormais un bureau à l’Erena, au rez-de-chaussée de la Tour Jean-Bernard du CHU de Poitiers. Bien que neuf ou presque, le lieu a une histoire. « Les bureaux s’inscrivent en contrepoint du parcours professionnel. J’ai commencé ma médecine à Oran, puis à Bordeaux, mais depuis mon internat j’ai toujours travaillé au CHU de Poitiers. De mon bureau initial, j’ai pu garder cette table, qui était la manifestation de mon souhait de travailler dans notre Vienne rurale. C’est une ancienne table de ferme, pas pratique -elle n’a pas de caissons sur les côtés- mais vraie, authentique. J’espère qu’après moi quelqu’un aura plaisir à travailler dessus. Elle fait partie de ces objets qui sont à vous et pas à vous, que l’on doit transmettre et qui permettent d’accepter un peu la finitude. » 

La table de nuit 
Serait-ce une… table de nuit ? Le Pr Gil confirme. « Elle date du XIXe siècle, elle est toute simple, en ronce de noyer. Elle vient de l’hôpital Pasteur, note l’ancien médecin. Dans une chambre d’hôpital, il y a le lit et la table de nuit, qui représente tout le petit monde du malade, avec son verre d’eau, sa montre… A Pasteur, les personnes âgées amenaient même leurs meubles. » 

L'appareil à temps de réaction 
« Matériel à garder précieusement (Mr Gil). Clavier pour temps de réaction », indique un mot manuscrit scotché sur l’appareil et daté d’août 2009. Venu de l’Indiana (Etats- Unis), ce « clavier à temps de réaction » aurait pu finir au rebut. Il dort dans un tiroir aux côtés du dernier marteau à réflexe du Pr Gil. Le neurologue et neuropsychiatre se souvient de la dernière de ses étudiantes à l’avoir utilisé, en 1995, pour l’une des rares thèses en psychologie qu’il ait dirigées. « Elle (ndlr, Eva Maria Arroyo Anllo) est aujourd’hui, titulaire de la chaire de psychiatrie de l’université de Salamanque. On s’écrit, on travaille ensemble, on collabore sur des publications… » Patients ou étudiants, le Pr Gil garde le lien. 

La plume rouge 
Elle est toujours là. Roger Gil extrait délicatement d’une bonnetière une petite plume rouge. « J’avais l’habitude, tous les ans le jour de Noël -sauf une fois-, de venir voir mes patients, les services étaient décorés... Le 25 décembre 2010, les infirmières portaient toutes un bonnet de Père Noël avec une plume rouge. Je savais que cela allait être mon dernier noël... » Alors le Pr Gil en a conservé une. « Aujourd’hui l’hôpital n’est plus un lieu de vie mais de séjour dans des histoires un peu sombres, des espoirs aussi. Mais noël marque toujours une parenthèse, ce que Péguy appelait la petite fille Espérance. » 

Les bouchons multicolores 
D’un tiroir le Pr Gil a sorti des… bouchons de pêche enfermés dans un sachet plastique. « On me les a donnés. Je n’ai jamais osé l’ouvrir. Si je l’ouvrais le contenu se disperserait et je n’en ai pas envie. » Pendant plusieurs années, le neuropsychiatre est intervenu chaque semaine auprès des « enfants infirmes moteurs cérébraux » de l’IME de Biard. A cette époque, l’IME a fait l’acquisition d’un atelier de fabrication de bouchons de pêche, une sorte de centre d’aide par le travail avant l’heure « pour leur ouvrir un passage à la vie d’adulte sans quitter ce lieu auquel ils tenaient ». Une jeune patiente a souhaité offrir au médecin les premiers bouchons qu’elle avait fabriqués. « Il y a des objets qui vous possèdent... » 

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