Hier
Vincent Michel. 48 ans. Professeur à l’université de Poitiers. Archéologue reconnu, il contribue à la lutte contre le trafic illicite d’œuvres d’art orchestré par Daesh. Personnification de la curiosité, ce Parisien d’origine court sans cesse après le temps pour combler sa soif de savoir.
Dix-huit coups sonnent au clocher. Le gardien de l’Hôtel-Fumé entame sa ronde. « Laissez-nous la Salle des actes pour une heure s’il vous plaît !, lance Vincent Michel, qui vient de débouler d’un couloir. Une heure, pas plus, j’ai mon train ensuite de toute manière. » A peine le gardien a-t-il acquiescé que le professeur de l’université de Poitiers pousse la porte de la grande salle de cours. Chez lui, chaque seconde est précieuse. « Je dois gérer mille choses à la fois, cela me procure beaucoup de stress », sourit-il. Avant d’ajouter, dans la foulée : « Je n’ai jamais rêvé ma vie d’aujourd’hui, mais j’ai une vie de rêve. »
Cette vie a débuté en 1969, à Paris. Né de parents « passionnés d’histoire et de patrimoine », Vincent Michel grandit au rythme des « visites de musées et d’églises médiévales ». Appartenant à une « génération sans télévision », l’enfant s’évade dans les univers qu’il crée de toutes pièces avec ses Playmobil et ses Lego. « J’ai rapidement développé une passion pour l’objet, explique-t-il. Je rêvais alors de devenir commissaire-priseur. Chez ma grand-mère, je m’essayais à la restauration de meubles d’époque. Je passais un temps fou chez Drouot, où je rédigeais des fiches sur les lots adjugés. »
De l'Ebaf à l'université de Poitiers
Parti sur le fameux double-diplôme « droit + histoire de l’art », cher aux commissaires-priseurs, Vincent Michel se rend compte « que le monde commence à ne plus alimenter (sa) boulimie de savoir ». Il profite de sa préparation militaire supérieure pour « partir en coopération à Jérusalem ». « J’ai découvert l’Orient et tout a volé en éclats. » Après avoir travaillé à la transformation du site d’Emmaüs en parc archéologique et fréquenté la prestigieuse Ecole biblique et archéologique française (Ebaf), Vincent Michel prend « la truelle et le seau » et s’initie aux fouilles en Jordanie, puis en Syrie. « Je me suis dit : ça y est, je suis dans l’authentique. » De retour en France, l’universitaire décroche un master d’archéologie et un DEA, avant de soutenir sa thèse au début des années 2000. Poitiers lui a, depuis, offert un siège d’enseignant-chercheur, puis de professeur.
L’heure tourne à l’Hôtel-Fumé. Pas question de rater le train de 19h23 qui doit le ramener à Paris. Sans transition, l’archéologue détaille les lignes moins universitaires de son CV. « En 2011, le Quai d’Orsay m’a demandé de prendre la succession d’André Laronde, à la tête de la mission archéologique française en Libye. Entre le printemps arabe et la naissance de Daesh, c’était le début du chaos au Moyen-Orient. » Très vite, Vincent Michel est sollicité pour expertiser des statues funéraires interceptées dans le cadre d’un trafic illicite d’œuvres d’art. De fil en aiguille, le quadragénaire se retrouve en première ligne de la lutte. « Le trafic est immense et la prise de conscience récente, souligne-t-il. Les ventes de biens culturels représentent le deuxième ou troisième poste de recettes de Daesh. Il y a urgence à sensibiliser toutes les parties, concernées de près ou de loin, y compris les populations locales. » Lorsqu’il jette un œil, par curiosité, aux lots mis aux enchères, Vincent Michel est aujourd’hui « plus attentif à ce que vendent les commissaires-priseurs ». La boucle est bouclée.
« Continuer à me questionner »
Malgré ses multiples casquettes, l’universitaire n’entend pas pour autant délaisser l’enseignement. « Les étudiants m’enrichissent et me permettent de continuer à me questionner. » Entre ses allers-retours à Poitiers et ses voyages à l’étranger, il mène en outre une vie de famille épanouie auprès de sa femme et de ses trois enfants, installés à Paris. « Exigeant » avec les autres, comme avec lui-même, Vincent Michel ne se repose pas sur ses lauriers. « Je suis avide de nouveaux voyages, de découvertes, de fouilles... Je suis animé par la même passion qu’au premier jour. Et tant mieux, car rien de grand dans le monde ne s’accomplit sans passion. »
Dix-neuf coups sonnent au clocher. Avant de filer, le professeur se laisse aller à une dernière anecdote... plus légère. « Je suis un grand amateur de bonbons, j’en mange jusqu’à deux kilos par semaine ! A Jérusalem, mes premiers mots en arabe ont été adressés à un vendeur du souk : « Je m’appelle Mansour (traduction de Vincent, ndlr) et je serai ton plus grand client. » Aujourd’hui, c’est son fils qui me vend les bonbons. Il se souvient toujours de moi. » Sourire aux lèvres, Vincent Michel tourne les talons et file à la gare. Pile à l’heure pour son train.
À lire aussi ...
samedi 05 octobre