Un anthropologue face au crime

Educateur de rue devenu « anthropologue urbain »,David Puaud consacre un ouvrage à un crime « sans mobile », commis en 2007 par un jeune Châtelleraudais qu’il suivait. Il retrace l’itinéraire social, familial et professionnel du jeune homme de 19 ans, qualifié très vite de « monstre humain ». Chronique d’une mort sociale annoncée.

Romain Mudrak

Le7.info

Dix ans. C’est le temps que David Puaud a consacré à un sinistre fait divers. Il y a d’abord dédié une thèse en anthropologie au côté de Michel Agier, directeur d’Études à l’École des hautes étude en sciences sociales (EHESS). Puis un ouvrage grand public, pour tenter de faire passer des messages. Demain, « Un monstre humain ? »(1) sortira dans toutes les bonnes librairies. Et pour lui, cette date marquera la fin d’une longue histoire dans laquelle il s’est personnellement impliqué.

Tout commence en 2007. Un samedi soir, Josué Ouvrard et Kevin Lenôtre(2) sortent en discothèque près de Richelieu. A la sortie, les deux jeunes prennent en auto-stop Michel Firmin, un habitant de Loudun, qui a également passé la nuit dans la boîte de nuit. Ils le séquestrent, le torturent et finissent par l’assassiner froidement.

Comprendre pourmieux anticiper
La presse locale relate la scène. Alors éducateur de rue dans le quartier de Châteauneuf, David Puaud reconnaît immédiatement l’un de ses protégés. Ce crime sans mobile dépasse l’entendement. Les auteurs, à commencer par Josué, sont rapidement décrits comme dénués d’humanité. De quoi interloquer le travailleur social : « Les faits étaient atroces. Comme les deux individus avaient avoué, le procès aux Assises tendait uniquement à démontrer leur potentiel morbide et monstrueux. De mon côté, j’ai voulu amener la complexité de la situation dans une sorte de chronique d’une mort sociale annoncée. »

David Puaud analyse les ressorts psychosociaux d’un individu témoin de violences familiales, aussi bien physiques que symboliques. Il rappelle le contexte économique de cette ancienne ville ouvrière en proie à la crise. L’« anthropologue urbain » retrace aussi l’itinéraire de Josué au sein de l’institution judiciaire et ses relations avec les professionnels de l’insertion. Un épisode en particulier marque les esprits. Après un stage au RICM, le jeune homme se prépare à une carrière de militaire. En vain. Un juge d’application des peines met fin à tous ses rêves… « Je n’éprouve pas de culpabilité sur son suivi et je ne veux pas incriminer les différents acteurs qui l’ont croisé, précise David Puaud. Mais comme je le dis en conclusion, c’est au prix de la compréhension qu’il pourra être envisagé de mener un travail de prévention sociale et éducative, d’aboutir à des stratégies de civilité pour éviter que certains se projettent comme délinquants, criminels ou récidivistes. » Ce n’est pas un hasard si ce formateur à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Poitiers mène actuellement des recherches au plan national sur la déradicalisation. Loin des clichés médiatiques, ce livre explique aussi la fonction normative du « monstre » dans notre société. De quoi faire réfléchir…

(1)Editions La Découverte, 19. Dédicace à la Minute blonde, le 5 avril, de 18h à 20h.
(2)Par respect pour les familles, tous les noms ont été changés par l’auteur.

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