Radicalisation : au-delà des préjugés

Selon les autorités, une cinquantaine de personnes seraient surveillées dans la Vienne pour des motifs de radicalisation. 30% d’entre elles sont incarcérées à Vivonne. Décryptage.

Arnault Varanne

Le7.info

Depuis les attentats de 2015, le terme effraie les Français. Radicalisation. Comme la promesse d’une nouvelle menace terroriste « de l’intérieur ». Aussi, lorsque la préfecture de la Vienne choisit de communiquer sur la situation, chacun retient son souffle. D’après ses statistiques, une cinquantaine de Poitevins seraient aujourd’hui suivis pour ce motif, dont 30% rien qu’au centre pénitentiaire de Vivonne. « La Vienne n’est ni plus ni moins touchée que d’autres départements de même taille », précise d’emblée la préfète Isabelle Dilhac. Dans le détail, on sait que ces suivis concernent 13% de femmes (souvent jeunes), 5% de mineurs, 20% d’étrangers, 30% de convertis… « A notre connaissance, aucune personne issue de ce territoire n’est partie sur zone faire le djihad », avance encore la représentante de l’Etat.

« Peur d’être catalogués »

Pour autant, ses services maintiennent un niveau de vigilance très élevé. Un groupe d’évaluation départemental examine toutes les semaines les profils et les signalements (87 en 2017, 10% de moins qu’en 2016). Et une réunion se tient une fois par mois sous l’autorité du procureur. Derrière les murs du centre pénitentiaire de Vivonne, cette focalisation sur l’islam radical a des effets pervers. « Je constate que beaucoup de détenus se mettent en mode défensif et refusent de participer aux prières, par peur d’être catalogués, témoigne Mustapha Bihya(1), aumônier musulman au sein de l’établissement. Et à titre personnel, les radicalisés, je ne les vois pas ! » Samia Ben Achouba va plus loin et appelle de son côté le grand public à ne « pas faire d’amalgames ». « En détention, vous êtes sous la loupe 24h/24, il ne faudrait pas accentuer la colère de gens qui veulent juste pratiquer leur religion et non être perçus comme radicalisés », abonde la secrétaire nationale de l’aumônerie musulmane des prisons.

« Des trajectoires sociales »

Si, en milieu carcéral, la problématique du basculement pose des tas de questions, elle interpelle avec encore plus de force à l’extérieur. Comment en arrive-t-on là ? L’anthropologue poitevin David Puaud sortira en août un livre intitulé « Le spectre de la radicalisation, l’administration sociale en temps de menace terroriste »(2). Le fruit de deux ans et demi d’un travail de formation dans plus d’une douzaine de villes françaises. Il y analyse notamment « les trajectoires sociales d’individus radicalisés ou en voie de radicalisation ». « J’ai par exemple travaillé à Saint-Etienne-du-Rouvray, en essayant d’appréhender le parcours d’Abel Kermiche, l’un des auteurs de l’attentat de l’église (le 14 juillet 2016, ndlr). Ce dont on s’aperçoit, c’est qu’on a souvent affaire à un public connu des travailleurs sociaux, venant de quartiers sensibles. Au final, il y a des opportunités manquées, des rendez-vous qui ne se font pas... »

A la lumière de son expérience de terrain, le travailleur social estime qu’il n’existe « pas de parcours inéluctable ». Mieux, il met en avant le travail du groupe de « Recherche et d’intervention sur les violences extrémistes » (Rive), pour lequel il vient de rédiger un rapport de trois cents pages. Pendant deux ans, à Paris, des professionnels de champs d’intervention très différents ont accompagné une vingtaine de personnes suspectées de radicalisation, à raison de six heures par semaine, en milieu ouvert. Résultat : un « lien de confiance renoué » et une « inclusion sociale » facilitée. Le dispositif sera bientôt déployé à Marseille, Lyon et Lille.

(1) Un deuxième aumônier musulman devrait intervenir à la prison de Vivonne dans les prochaines semaines.
(2) Aux Presses de l’EHESP.

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