Gardien du temple

Patrick Bernard. 62 ans. Ethnographe et documentariste. Recueille les témoignages de peuples autochtones d’Amazonie et d’ailleurs, dont les traditions sont menacées d’extinction. Militant de la diversité culturelle et de la protection de la nature partout dans le monde, ce Vosgien a créé la fondation Anako, un ethno-musée et un festival qui démarre aujourd'hui, à Loudun.

Romain Mudrak

Le7.info

Il sillonne le monde pour transmettre son savoir à des Occidentaux curieux. Chaque année, il part au contact direct, voire intime, des « peuples premiers » sur les contreforts de l’Himalaya, les déserts africains et australiens ou sur les rives de l’Amazone. Mais son repère reste à Bournand, près de Loudun. C’est là, dans l’octroi du château de Verrière, que Patrick Bernard a décidé d’installer le siège de la fondation Anako ainsi qu’un ethno-musée. Le décalage des lieux est saisissant. D’épais murs médiévaux protecteurs abritent des objets aussi fragiles que les cultures dont ils sont issus. Deux grands chiens, de type Bouviers bernois, gardent la maison. L’un d’eux s’appelle Danga, du nom d’un rituel initiatique de la vallée de l’Omo, un clin d’œil à un voyage d’étude effectué en Ethiopie avec le paléoanthropologue Yves Coppens, dans les années 80.

Rites initiatiques
Patrick Bernard est un « nomade ». Parti de Paris en 2009, d’abord pour rejoindre le Châtelleraudais, il s’est installé en 2013 à Loudun et envisage désormais de migrer vers Saumur. Comme les peuples de chasseurs-cueilleurs qu’il observe depuis quarante ans, ce Vosgien s’attache peu aux lieux et privilégie les relations humaines. Très jeune déjà, il s’était rapproché d’une communauté de gitans dans son petit village de Xonrupt. « La plupart des habitants étaient contre leur présence, je me suis dit qu’ils devaient être très intéressants. » Son père, peintre en bâtiment, a dû entrer à plusieurs reprises dans le camp tard le soir pour le récupérer. « On était souvent en train de chanter ! » Au fil du temps, un lien très fort s’est tissé. Si bien qu’une fois élu au conseil municipal, le père de Patrick a porté l’une des premières aires aménagées pour les gens du voyage, « loin des décharges où on les met aujourd’hui ».

Evidemment, dans ce terreau fertile, les parents n’ont pas été surpris lorsque leur fils, âgé de 17 ans, a exprimé son intention de partir à la rencontre des Yawalapiti d’Amazonie. « C’était en Guyane française, les gendarmes gardaient un œil sur moi. J’ai dû leur faus- ser compagnie de nuit pour mener à bien mon projet. » « Ecolo depuis toujours », Patrick Bernard veut trouver des gens « en contact direct avec la nature ». Finalement, il parvient à rester six mois dans le village en manifestant une intense envie d’apprendre. Seul, le jeune aventurier est immédiatement adopté. « Personne ne restait isolé dans ce groupe. » Au bout d’un an, en 1977, il subit un rite initiatique. Il doit résister aux piqûres de guêpes et de fourmis carnivores, ainsi qu’à un tas de privations physiques et charnelles. « En tant qu’objecteur de conscience, je ne voulais pas accomplir le rite du service militaire en France. Cette initiation m’a permis d’endosser la double culture. »

« Derniers hommes vrais »
Patrick Bernard tombe littéralement « amoureux » de ce peuple, « humble face à la nature ». « Les membres de cette tribu savaient bien que leur tradition orale risquait de disparaître, avec les jeunes gé- nérations sous l’influence des sociétés dominantes de plus en plus uniformisées sur le modèle occidental. C’est pourquoi ils m’ont demandé de les aider à garder des traces. » De là est née sa vocation d’ethnographe. « Et non pas d’ethnologue car je n’étudie pas les populations rencontrées. Je témoigne de ce que je vois. » Sa méthode est très originale. Le documentariste prête du matériel vidéo à quelques membres du village, les forme, puis leur laisse carte blanche. Le seul moyen de ne pas influer sur les événements ou interpréter. « Trop souvent au cours du XX siècle, des hommes blancs ont donné leur vision de coutumes auxquelles ils ne comprenaient rien. » Ses films ont été diffusés sur France 5, Arte, Ushuaia... Et parfois même primés. Il a reproduit ce mode de narration aux quatre coins du monde, à la rencontre des « derniers Hommes Vrais », sous-titre de son ouvrage intitulé « Peuples racines ».

A quelques jours de l’ouverture du Festival du film ethnographique, Patrick Bernard se réjouit de revoir son ami Visier Sanyu, leader charismatique de la « nation Naga » (16 tribus, 33 millions d’habitants répartis entre l’Inde et la Birmanie). Ensemble, ils ont fondé l’International commission for the rights of aboriginal people, en 1988, pour mener des combats en faveur de la diversité culturelle, bien sûr, mais aussi contre la déforestation et les expropriations. A travers cette 4e édition du festival Anako, Patrick Bernard tentera une nouvelle fois de rendre visibles les « peuples premiers » opprimés. L’aventure de sa vie.

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