« Tout bonheur est une résilience »

Docteur et agrégé d’histoire à l’université de Cergy-Pontoise, le Poitevin François Durpaire livre dans une Histoire mondiale du bonheur(*) la synthèse des travaux d’une soixantaine d’historiens, de philosophes, d’anthropologues, sociologues... Passionnant et prospectif.

Arnault Varanne

Le7.info

François Durpaire, sortir un livre intitulé Histoire mondiale du bonheur en pleine pandémie, vous ne l’aviez sans doute pas imaginé...
« Quand on regarde dans l’histoire (un chapitre y est consacré, ndlr), on se rend compte que tout bonheur est une résilience. Les hommes et les femmes sont doués de conscience, ils ont la conscience du tragique de l’existence qui fait entrer dans l’humanité. La quête universelle, c’est la recherche d’une vie bonne. Le bonheur ne se comprend pas sans malheur, qu’il s’agisse de la peste bubonique, de la Première Guerre mondiale, du Coronavirus... L’humain réagit toujours. »

Vous dites que le bonheur au XXIe siècle sera écologique ou pas. Ne sera-t-il pas tout simplement sanitaire ?
« La première condition du bonheur, c’est effectivement la condition sanitaire. Un chapitre de Patrick Favro y est consacré, il met en évidence la Pyramide de Maslow. Le premier besoin est le besoin de santé, la nécessité d’avoir ses besoins vitaux respectés. La santé, l’alimentation, le sommeil... C’est la base. Ce n’est pas pour autant qu’être en bonne santé veut dire être heureux. Dans la pyramide de Maslow, le deuxième étage, c’est le besoin de sécurité. Viennent après les besoins émotionnels, cognitifs et la réalisation de soi. La période que nous vivons met l’accent sur l’altruisme positif. »

Les conditions du bonheur ne sont, selon vous, pas identiques d’un continent à l’autre. A l’Asie la sagesse, à l’Europe le plaisir... Le bonheur n’est donc pas universel ?
« Ce qui est universel, c’est la quête d’une vie bonne, satisfaisante. On le trouve dès la Préhistoire avec la découverte de la musique, de la danse... Quand on a imaginé cette Histoire mondiale, on a aussi constaté de grandes différences. Il existe des manières très différentes de rechercher le bonheur selon qu’on est au Moyen Age chrétien, dans un pays musulman à l’époque contemporaine... Certaines civilisations s’en remettent au futur (le Salut, l’Au-delà...), d’autres au présent. Les touaregs, par exemple, trouvent leur bonheur dans le fait de contempler un joli coucher de soleil. Après, il y a la question du bonheur individuel ou collectif. Chez les Peuls, le fameux « Aayo » signifie bien plus que « bonjour ». Cela se traduit par « Ta rencontre me procure du bonheur parce que je te vois ». »

« Je ne crois pas aux petits bonheurs, davantage aux petits plaisirs »

Le progrès est-il toujours synonyme de bonheur augmenté ?

« Le numérique prend de plus en plus de place, colonise nos vies physique et spirituelle. Il aurait même tendance à remplacer le présentiel par d’autres types de modalités. C’est la grande question de notre temps. Est-ce que cette extension du progrès est forcément du bonheur en plus ? Non, bien sûr. Le bonheur est la recherche d’une constance émotionnelle qu’on n’a pas avec les outils numériques. »

Vous dites que construire le fondement de sociétés heureuses, c’est éduquer à la solidarité, au pardon, à l’écoute, à la gratitude, à la bienveillance. En prend-on vraiment le chemin dans un monde où les ressources ne sont pas infinies ?
« La place de l’éducation est fondamentale. A quoi doit-on éduquer ? Le fait d’être confiné remet en cause nos certitudes. Des connaissances, mais lesquelles ? Des compétences, mais lesquelles ? Examiner les conditions d’une vie bonne devrait être le principal enseignement. On devrait d’ailleurs commencer les débats sur la philosophie beaucoup plus tôt qu’en terminale. »

Quelle est votre propre définition du bonheur ?
« Je ne crois pas aux petits bonheurs, davantage aux petits plaisirs. Tu es heureux ou tu ne l’es pas. La question est la suivante : comment fait-on pour obtenir une constance émotionnelle ? Comment gère-t-on sa propre météo intérieure ? Personnellement, je me répète un mantra tous les matins où le temps, l‘énergie et la relation sont trois dimensions fondamentales. Il n’y a pas de bonheur sans qu’on choisisse d’être heureux. Deuxièmement, il est essentiel de démarrer sa journée en tournant son esprit sur ce que l’on a déjà en ayant la gratitude d’être là. Enfin, chaque jour je me demande à qui ou à quoi je peux être utile. »

(*)
Une histoire mondiale du bonheur, Editions du Cherche Midi, 435 pages, 22€.

 

Crise sanitaire oblige, la sortie du livre Histoire mondiale du bonheur est fortement perturbée. Entre lundi et mercredi, François Durpaire donne rendez-vous sur ses réseaux (Facebook, Instagram, Youtube), où il commentera quelques passages de l’ouvrage.

À lire aussi ...