Terrorisme : où vont les « sortants » ?

Environ 250 détenus liés au terrorisme islamiste devraient être libérés d’ici la fin 2022. Ils représentent le « bas du spectre » sur l’échelle de la violence. Mais comment s’assurer qu’ils ont abandonné leurs pensées radicales ? Des dispositifs existent, un chercheur poitevin a suivi l’un d’eux.

Romain Mudrak

Le7.info

Le chiffre interpelle. Selon le parquet national antiterroriste, près de 250 détenus pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste islamiste sont libérables d’ici la fin 2022. Ils sont incarcérés un peu partout en France, dans les centres pénitentiaires comme celui de Vivonne. Ce ne sont pas les plus dangereux. Mais leur passage à l’acte potentiel une fois sortis inquiète.

En juillet 2016, l’assassinat du père Hamel par deux jeunes djihadistes à Saint-Etienne-du-Rouvray a constitué un électrochoc. L’un d’eux était placé sous surveillance électronique. Après cet attentat, l’État a mis en place dans la plus grande discrétion un dispositif expérimental destiné à éviter cette récidive. Son nom : « Rive », pour Recherche et intervention contre les violences extrémistes. Vingt-trois individus radicalisés ont été suivis de près par une équipe pluridisciplinaire. A leur côté, un chercheur poitevin était aux premières loges pour observer son fonctionnement. « La responsable était professeure vacataire à l’université de Poitiers, elle a souhaité collaborer avec moi sur la question du mentorat », se souvient David Puaud. Au cœur de la méthode utilisée pour réinsérer ces jeunes gens, le mentorat vise à établir une « relation de confiance », sur la base de « points d’accroche » (sport, culture ou tout autre sujet). Cette « empathie méthodologique » doit ensuite permettre d’aborder d’autres sujets tels que la religion. « Il ne s’agit pas d’effacer leur mémoire mais d’insuffler le doute sur leurs croyances radicales et les désengager de la volonté d’un passage à l’acte violent », poursuit l’enseignant de l’Institut régional du travail social (IRTS) de Poitiers. En la matière, le référent cultuel joue un rôle très important, au côté des éducateurs spécialisés, pour remettre en cause les mauvaises interprétations du Coran.

Le risque de dissimulation

David Puaud a eu accès aux professionnels et aux dossiers des radicalisés. Il s’apprête à publier un livre bourré de témoignages et de situations. En 2019, Rive est devenu Pairs (Programme d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale). Porté par une nouvelle équipe, ce dispositif s’inscrit dans la continuité à une autre échelle. En début d’année, 77 individus (dont 29 femmes) en fin de peine étaient suivis à Paris, Marseille, Lyon et Lille. Et à l’intérieur des prisons ? Cinquante « binômes de soutien » (psychologue et éducateur) sont chargés de mettre en place des « programmes de prévention de la radicalisation violente » qui accueillent une dizaine de détenus sélectionnés. L’objectif ? « Ré-humaniser les personnes incarcérées, comprendre leur cheminement et les conduire à réfléchir aux ressorts profonds et intimes des infractions qu’elles ont pu commettre en lien avec le terrorisme », indique la journaliste Véronique Brocard, auteure de Les Sortants (éditions Les Arènes). C’est le cas à Vivonne (retrouvez notre interview sur en fin de semaine sur le7.info).

Reste le risque de dissimulation, la « taqîya », comme l’appellent les spécialistes du terrorisme. « L’objectif à l’extérieur est de construire un véritable filet social avec un réseau de professionnels, travailleurs sociaux qui passent beaucoup de temps avec eux, assure David Puaud. La perception de la dangerosité potentielle relève de l’ordre du sensible, du non-verbal, mais surtout est détectable par des outils spécifiques de psycho-criminologie. » Mais rien n’est jamais sûr dans ce domaine. « J’ai constaté que tous les professionnels sont dans le tâtonnement et le suivi individualisé », note Matthieu Delahousse, journaliste à L’Obs, qui a publié en janvier l’un des rares articles documentés sur Pairs (le lien sur le7.info). On ne parle d’ailleurs plus de déradicalisation mais de désengagement de la violence.

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