Economie - Mondialisation : « La fin des illusions »

Philippe Mocellin enseigne à l’université de Poitiers, Philippe Mottet est avocat et ancien maire d’Angoulême. Passionnés de géopolitique(*), ils publient cette semaine Le monde des possibles (Va éditions) dans lequel ils soumettent la mondialisation à ses contradictions et misent sur l’écologisation de l’économie.

Romain Mudrak

Le7.info

Votre livre propose de « réconcilier les peuples avec la mondialisation ». On dit pourtant qu’elle est responsable de la crise de la Covid, du réchauffement climatique, des délocalisations… Vous êtes optimistes !
Philippe Mottet
. « Il ne s’agit pas d’un plaidoyer pour la mondialisation telle qu’elle est aujourd’hui. Elle doit être régulée. La vision des libéraux orthodoxes a totalement échoué, mais nous sommes dans une société mondialisée, c’est une évidence. La crise actuelle a fait ressurgir les thèses de la décroissance, il ne faudrait plus circuler ou échanger. Nous pensions que tout cela conduirait à une catastrophe planétaire. Nous avons réfléchi aux avancées positives : l’écologie ne doit plus simplement être une idéologie, la réindustrialisation de l’Occident est une nécessité, l’Europe doit prendre en main son destin. »

Philippe Mocellin. « On ne peut pas dire que la mondialisation est à l’origine de la crise de la Covid. Il y a eu d’autres épidémies dans l’histoire de l’humanité. En revanche, elle a certainement accéléré la diffusion du virus. On peut parler d’un effet de sidération. En un temps record, on a assisté à un changement brutal : la moitié de la planète confinée, un plongeon de l’économie mondiale, des centaines de milliers de chômeurs… Tout cela questionne l’organisation de notre système économique. A commencer par notre dépendance, par exemple, dans le domaine de la production de médicaments. Notre échelle de valeurs et de priorités, qui a poussé notamment les entreprises à délocaliser, est également totalement dépassée. C’est la fin des illusions, on va vers une ré-Etatisation de l’économie et vers les principes du keynésianisme, ou comment injecter de l’argent public et réhabiliter l’Etat providence. »

PIB écologique

Vous dites que l’urgence va à l’écologisation du monde. De quoi s’agit-il ?
Ph. Mocellin.
« C’est un concept développé par plusieurs économistes, ainsi que par l’ex-ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine. Certains pourraient être tentés de redémarrer au plus vite notre économie en se débarrassant des contraintes environnementales. Ce serait une immense erreur. Des millions de personnes travaillent déjà à une agriculture biologique, à une industrie moins polluante, à des constructions plus autonomes en énergie, c’est tout cela l’écologisation. Cette nouvelle économie circulaire est moins émettrice de gaz à effet de serre. Nous croyons au progrès technologique qui nous conduira vers une croissance écologisée. La lutte contre le changement climatique doit être le fil de conducteur de toute chose. La crise touche très fortement le tourisme de masse et l’aéronautique. Pas de chance, ce sont deux secteurs sur lesquels a particulièrement misé la France. Le capitalisme doit être plus soucieux de l’humain et moins aux aspects financiers, en associant davantage les gens aux décisions politiques et économiques. »

Cette crise peut-elle tout changer du jour au lendemain ?
Ph. Mocellin.
« Non, il y a trop d’enjeux, trop de pays qui ne veulent pas jouer le jeu et d’autres qui n’en ont pas les moyens. La réindustrialisation comme l’écologisation se feront sur vingt ou trente ans. Nos jeunes seront les acteurs de cette nouvelle donne. Nous proposons un Produit intérieur brut (PIB) écologique afin que les entreprises calculent dans leurs coûts l’impact écologique au lieu de l’externaliser. L’idée est de faire en sorte que les consommateurs puissent acheter et que les investisseurs puissent financer en connaissance de cause, autrement dit rendre le marché classique plus intelligent. Il faut qu’on instaure cette idée de PIB écologique sur le plan géostratégique mondiale, ce serait déjà une prise de conscience pour repenser les modes de production. »

Quel bilan dressez-vous de l’action de l’Europe dans la crise actuelle ?
Ph. Mottet. « Si l’Europe veut jouer un rôle de super-puissance entre les Etats-Unis et la Chine, elle doit s’en donner les moyens et sortir de sa naïveté en termes de recherche ou de protectionnisme. Au nom de l’ultralibéralisme et du respect de la concurrence, l’Europe a refusé d’aider ses entreprises. Elle en paye le prix. La réponse financière à la crise est bonne mais est-elle suffisante pour une prise de conscience des enjeux politiques ? »

(*) Auteurs en 2019 d’un manuel d’Introduction à la géopolitique en 50 fiches (éditions Ellipses).

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