Géographie de l’occidental

Le Regard de la semaine est signé Olivier Pouvreau.

Le7.info

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Je repense souvent à cette phrase de Sylvain Tesson, grand voyageur, qui trouvait « absurde de connaître Samarcande alors qu’il y avait l’Indre-et-Loire ». Elle m’amène à deux considérations. La première, c’est que le tourisme, quand il est pratiqué dans des régions où la culture est éloignée de la nôtre, m’a toujours paru symptomatique de notre occidentalité. Par ce terme, je vois l’arrogance (souvent innocente puisque « allant de soi ») de néo-colons arrivant en terre étrangère comme dans un zoo humain. Imaginerait-on des Népalais venir arpenter les rues d’un village poitevin pour voir « comment les gens vivent » ? On pourra toujours arguer que des populations entières vivent grâce au tourisme « à l’occidentale ». Mais au fond, quelle est la nature de l’échange entre le visiteur et l’autochtone ? Une chambre d’hôtel contre un peu de voyeurisme ? Mieux vaudrait peut-être ruminer la célèbre phrase de Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques : « Je hais les voyages et les explorateurs. » Que voulait dire Lévi-Strauss lui qui, pourtant, partit rencontrer des sociétés indigènes au Brésil ? Ceci : pour un ethnologue, le voyage n’est qu’un moyen permettant la rencontre et la compréhension d’autres cultures que la sienne, non une fin en soi pour égayer les convives à table au moment du fromage. Le voyage comme véritable expérience de l’altérité, non comme exotisme divertissant. Le deuxième point est l’envers du premier : celui du problème de la sédentarité. Nos sociétés sont par nature mobiles, en évolution permanente. Nous sommes ainsi socialisés au mouvement, au « développement », affects antinomiques avec ceux de la lenteur et de la stabilité. De fait, tout ce vocable du surplace est mal coté dans nos valeurs occidentales. À la fin du confinement, en mai 2020, nous avons ainsi pu constater l’air navré des médias regrettant qu’il « faudrait passer ses vacances en France… » Pourtant, la « relocalisation » de nos mœurs ne constituerait-t-elle pas une protestation contre les dérives de notre monde tel qu’il est devenu, à savoir un « village globalisé » ? Dans l’affairisme mondial, le local fait figure de monde codé, aux antipodes d’un univers abstractisé où les acteurs sont inconnus, voire inimaginables. Quand, par exemple, nous achetons des tomates d’Espagne, comment connaître réellement la chaîne de production qui les ont amenées dans notre assiette ? Mais il y a plus que faire vivre l’économie locale en faisant ses courses en vente directe. Redevenir « paysan », « gens de pays », ce serait d’abord s’approprier son territoire. Qui connaît bien ses environs proches, les chemins de sa commune, les villages de son département ? Ce serait ensuite, et plus profondément, une histoire d’éducation du regard, une question de contemplation. Si ce qui est bien coté est « l’exotisme », le « dépaysement », « l’épatant », ces mythes de la carte postale, c’est que l’œil n’a pas appris à capter les merveilles qui l’environnent au quotidien. Un conseil : partez en Indre-et Loire, prenez votre temps, ouvrez les yeux.

CV express
Bibliothécaire de profession et entomologiste/photographe à mes heures. Ma vie oscille entre les pages d’un livre et les ailes d’un papillon. Je me reconnais dans la préface du naturalise Aldo Léopold dans son ouvrage Almanach d’un comté des sables : « Il y a des gens qui peuvent se passer des êtres sauvages et d’autres qui ne le peuvent pas. Ces essais sont les délices et les dilemmes de quelqu’un qui ne le peut pas. »

J’aime : l’individualisme s’il est critique, la bienveillance, la richesse des formes dans la nature, les vieilles pierres et les arbres vénérables, travailler le bois, la créativité musicale, le bokeh en photographie. 

J’aime pas : le langage managérial, la communication d’ambiance, le manque de curiosité, l’absence d’empathie, les personnalités « toutes façades dehors », les connivences politiciennes, l’attitude culturo-mondaine, les stéréotypes.

 

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