Hélène Grémillon. 45 ans. Romancière née à Poitiers, mariée depuis dix ans à Julien Clerc. Autrice de deux romans à succès traduits dans plusieurs langues. A co-signé le scénario de Presque, un road-movie délicat sur le handicap avec Bernard Campan et Alexandre Jollien. Aspire désormais à écrire pour « un monde plus juste ».
Elle s’est installée dans la salle, fébrile. Pour la première fois, Hélène Grémillon allait voir sur un écran de cinéma le fruit de son travail. « Je ne suis jamais contente de moi, toujours dans l’angoisse absolue des retours, confie la Poitevine, vite réconfortée par les réactions du public lors de la projection. Mais j’ai vécu un moment tellement joyeux et doux… C’était trop puissant. Je n’attendais rien et j’ai tout eu. »
Elle a co-écrit le scénario de Presque, une comédie délicate autour du handicap, au cinéma depuis quelques semaines. Cette histoire d’amitié entre un handicapé moteur cérébral et un croque-mort dépressif est née de la rencontre entre Bernard Campan et le philosophe suisse Alexandre Jollien, il y a une quinzaine d’années. Tous deux acteurs et réalisateurs du film, ils ont longtemps planché sur un scénario, sans parvenir à le faire financer. Afin de sortir le projet de cette impasse, le producteur Philippe Godeau a fait appel à Hélène Grémillon, en soutien d’Alexandre Jollien à l’écriture. « Quand j’ai vu que le projet tournait autour d’Alexandre, mon attention a été éveillée, dit-elle. Il incarne un truc assez magique, il a été mon point d’inspiration. » Quelques mois et de nouvelles versions du script plus tard, les feux étaient enfin au vert pour lancer le tournage.
Du succès au désenchantement
L’exercice est différent de celui du roman, dans lequel Hélène Grémillon s’était jusque-là distinguée. Son premier ouvrage, Le Confident, paru en 2010, est un succès multi-primé, écoulé à 500 000 exemplaires et traduit dans quarante langues. Suit de près La Garçonnière, en 2013, son deuxième et dernier roman en date. « Après l’avoir terminé, j’ai subi une petite crise de désenchantement », ne cache pas l’écrivaine. Notamment sur la place de l’auteur dans l’économie du livre. « Les clés de répartition m’hallucinent. Le cacher ne serait pas rendre service à cette profession que j’admire. Au début, l’auteur est flatté d’être lu, mais cela ne suffit pas car l’écriture est un travail. Et être auteur, un métier. (…) J’aimerais être une plus grande défenseuse de ces droits. » S’est aussi ajoutée la sensation de « solitude dans l’écriture », qui a fini par lui peser. « Je voulais une pensée échangée, des idées partagées. Le travail d’équipe est un lieu de nourriture que je suis allée chercher. »
C’est ainsi qu’Hélène Grémillon a ménagé sa plume plusieurs années. Elle s’est installée à Londres avec Julien Clerc et leur fils Léonard. Elle s’est consacrée à sa vie de famille et a pris un peu plus de place dans la carrière de son époux, rencontré en 2004, lorsqu’elle était assistante de programmation dans une émission de Thierry Ardisson. Elle ne tarit pas d’éloges sur son chanteur de mari, dont elle a réalisé un clip (La jupe en laine). « Il est une leçon de vie quotidienne, toujours au bon endroit, ultra-pertinent et efficace. C’est un essentiel absolu, je lui dois ma liberté d’écrire. Et j’ai l’honneur qu’il me demande mon avis. » Le couple, qui cultive une grande discrétion, est revenu en France au début de la pandémie de Covid-19. Et a passé le premier confinement à Poitiers, auprès des parents d’Hélène.
« J’ai peut-être trop lu »
Sa mère a travaillé dans une papeterie, son père au Conseil général de la Vienne. Ils restent des « repères puissants » dans la vie de leur fille. Hélène revient les voir plusieurs fois par an et vit chaque nouveau séjour dans le Poitou « comme un petit pèlerinage dans (ses) souvenirs ». Beaucoup ramènent la titulaire d’une maîtrise de lettres à la librairie Gibert, en centre-ville, où elle passait de nombreux après-midis. « J’ai peut-être trop lu, songe-t-elle aujourd’hui. La fiction nourrit mais il faut faire attention à ne pas se laisser enfermer. Je me bats pour ne pas tomber dans l’addiction, ça ne peut pas être l’équilibre d’un quotidien. » Sa période londonienne l’a aidée à se sortir de ces lectures compulsives, à s’ouvrir aux autres. Parce qu’elle en a pris le temps, dit-elle. « Un luxe impossible dans notre société. Mais si je peux être l’exemple qui sert l’éloge du temps long, j’en serais ravie. »
A l’équipe de Presque, elle tient à exprimer son « sentiment de gratitude inouïe » pour lui avoir redonné l’envie d’écrire. Mais d’écrire différemment. « Le film s’est incarné sur la nécessité de défendre des idées. Si je ne prends pas le crayon pour ce sujet, je me serais vidée d’une humanité qui m’importe. Je ne suis plus dans l’acte gratuit d’écriture. » Comme le handicap, nombreux sont les sujets qui bouleversent la quadra : l’éducation, le grand âge, la mort… « Je suis une révoltée douce, je veux essayer de rendre le monde plus juste. » Un salut qui passera -elle en est convaincue- par un vivre-ensemble inconditionnel. Tout le message de Presque. « Quand on aura compris que le collectif est nécessaire à l’individu, on aura gagné. » Voilà un beau programme.
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