Toumaï était bipède, la preuve

Une équipe de chercheurs franco-tchadiens, dont certains du laboratoire Palevoprim de Poitiers, a confirmé que Toumaï est bien le premier bipède de l’histoire de l’humanité, thèse controversée défendue depuis vingt ans par le paléontologue Michel Brunet.

Claire Brugier

Le7.info

Du haut de ses 7 millions d’années, Toumaï est-il le plus ancien humain bipède ? La controverse mondiale vieille de vingt ans autour de cette question a semble-t-il vécu. Dans un article publié mercredi par la revue Nature, une équipe de chercheurs poitevins et tchadiens(*) démontre que des contemporains du célèbre Sahelanthropus ont adopté la bipédie bien avant Orrorin (Kenya, 
6 millions d’années), Ardipithecus (Ethiopie, 4,4 millions d’années) ou l’Australopithèque Lucy (3 millions d’années).

A partir du fémur et de deux ulnae (ex-cubitus) découverts à côté du crâne de Toumaï par le paléontologue Michel Brunet, au Tchad en 2001, l’équipe de Franck Guy et Guillaume Daver s’est interrogée sur « la forme de locomotion du Sahelanthropus ». De cela dépendait en effet son appartenance à la famille des homininés ou à celle des chimpanzés. « La bipédie est l’un des critères qui définit notre lignée », rappelle Guillaume Daver.

La mesure du diamètre fémoral de Sahelanthropus a indiqué qu’il était plus grand que le chimpanzé. Pour le reste, la relative mauvaise préservation des os et l’absence des extrémités ont incité les chercheurs à mener une approche plurielle incluant des observations anatomiques, des mesures biométriques, morphométriques, biomécaniques…

Au total, les paléoanthropologues se sont appuyés sur vingt-trois caractères, tant morphologiques que fonctionnels, pour comparer Sahelanthropus avec des spécimens de grands singes fossiles et actuels, ainsi qu’avec des homininés actuels. Combinés, ces critères attestent de « la bipédie habituelle mais pas exclusive » de Toumaï et de ses contemporains. En d’autres termes, ils se déplaçaient bien sur leurs deux jambes même si, dans les arbres, ils pouvaient opter pour la quadripédie. Ils sont donc « le plus ancien témoignage de bipédie chez l’humain ».

(*) L’équipe comprend des chercheurs du CNRS, de l’université de Poitiers (laboratoire Palevoprim) et de l’université de N’Djamena (Tchad).


 

Vingt ans de controverse

 A la suite de sa découverte en 2001, à Toros Menalla 266 dans le désert de Djourab (Tchad), de plusieurs vestiges d’individus ayant vécu il y a 7 millions d’années, le paléontologue Michel Brunet a publié le 11 juillet 2002 dans la revue Nature un premier article sur un crâne de Sahelanthropus baptisé Toumaï (« espoir de vie »), présenté comme le plus ancien homininé connu. D’autres publications ont suivi, dans lesquelles le scientifique a affirmé qu’il s’agissait d’un bipède. En 2006, un film, produit par Gédéon Media Group en 2006 -avec pour conseiller scientifique Michel Brunet-, intitulé Toumaï, le nouvel ancêtre, a représenté Toumaï en bipède. Mais des scientifiques, parmi lesquels le professeur à l’université de Poitiers et au Muséum national d’histoire de Paris Roberto Macchiarelli, ont mis en doute la bipédie du supposé plus ancien ancêtre de l’homme, faisant enfler la polémique à l’échelle internationale. La revue Nature a même publié un article s'interrogeant sur l'absence de publication scientifique sur le fémur fossile retrouvé à proximité de Toumaï, d’aucuns sous-entendant que la raison en était que l’os n’appartenait pas à un bipède. L’étude qui vient de sortir vient contrecarrer cette théorie.

 

 

Michel Brunet : « Ce qui m’intéresse, c’est la science »
L’annonce des conclusions de l’étude qui confirme sa thèse sur la bipédie de Toumaï s’est faite sans lui… Le paléontologue poitevin Michel Brunet espère seulement que cela coupera court à une trop longue controverse.
A la tête de la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPFT) depuis une trentaine d’années, le paléontologue poitevin Michel Brunet n’était pas présent lors de la conférence de presse relative aux conclusions de l’étude concluant à la bipédie de Toumaï (lire ci-dessus). Pourquoi ? En guise de réponse, l’équipe de recherche a rendu hommage au « professeur honoraire au Collège de France et professeur émérite à l’Université de Poitiers », en omettant (sic) toutefois de préciser que le scientifique n’avait tout simplement pas été invité... « Ce qui m’intéresse, c’est la science, s’est contenté de commenter Michel Brunet. Les gens qui pensaient que Sahelanthropus tchadensis était quadripède se sont trompés. Cela met, je l’espère, un terme à ces polémiques qui n’ont aucun lien avec la science. » Par ailleurs, « je n’ai pas souhaité co-signer pour pouvoir garder ma liberté de parole. Le jeune paléonthologue que je suis, avance-t-il avec humour, a besoin de quiétude et j’aime plutôt l’élégance… L’article confirme ce que j’ai dit et pensé après avoir étudié ces fossiles dans les musées africains, à Addis-Abeba (Ethiopie), à Nairobi (Kenya), et chez des collègues d’Amérique du Nord, à Berkeley-Université de Californie, et à Harvard. Si je n’ai pas écrit sur le sujet, c’est parce que je croyais qu’on allait trouver d’autres fossiles. Quand j’ai publié sur Toumaï, on avait découvert une faune associée d’une trentaine d’espèces. On en est à une centaine aujourd’hui et bientôt près de cent vingt avec les micro-mammifères actuellement à l’étude.  Mais pour ce qui est des squelettes post-crâniens, on n’en a trouvé qu’un seul depuis. »

 

Roberto Macchiarelli toujours dans le doute

L’étude parue dans Nature, dans laquelle il est cité, n’a toujours pas convaincu Roberto Macchiarelli. Selon le paléontologue, professeur à l’université de Poitiers, Toumaï n’était pas un bipède habituel. « Je suis partagé entre la joie de voir dévoiler le spécimen et la déception de constater dans l’article des omissions et incohérence.. Nous allons donc les formaliser, sans faire de polémique. Plutôt que de considérer la bipédie comme un objet à valider, l’équipe de chercheurs l’a assumée en termes de thèse. Ils ont pris dans leur étude des éléments qui soutiennent cette thèse, qui est devenue un dogme, déplore-t-il. Je ne condamne personne, mais il y a eu une succession d’erreurs, explique-t-il. Il est inquiétant que dès le début ce fémur ait été confié à une étudiante de DEA. Avec Aude Bergeret, nous étions arrivés à l’hypothèse qu’il s’agissait bien d’un fémur compatible avec la forme de vie représentée par le crâne mais que ce spécimen était plus compatible avec une démarche de quadripède, donc plus proche du chimpanzé que de l’Australopithèque. C’était une hypothèse à discuter. Or dans l’étude qui vient de sortir, ces points ont été ignorés. »

Pédagogue, le scientifique se saisit d’un os et explique : « Chez les hominidés bipèdes, l’angle entre l’épiphyse et la diaphyse se situe entre 125 et 132 degrés ; chez l’orang-outan, qui est arboricole, il est de 140 à 145 degrés. L’angle du fémur retrouvé en 2001 est supérieur à 140, sans doute 142. Il est donc incompatible mécaniquement avec la bipédie. » Idem concernant les éléments présentés via la cartographie de l’os cortical : « Si vous prenez un fémur fossile d’un autre représentant de la lignée humaine, le Néandertalien par exemple, il ne se présentera pas comme celui de l’homme moderne. » Plus largement, « ces trois morceaux d’os racontent une histoire plus compliquée », conclut le spécialiste.

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