François Perlier, portraitiste du réel

François Perlier, 43 ans. Réalisateur de documentaires né à Limoges et installé à Poitiers depuis une quinzaine d’années. Son dernier film fait témoigner plusieurs exilés de Poitiers sur leur parcours. S’intéresse à la culture caraïbéenne, aux figures féminines militantes et à l’exil. Signe particulier : avide de rencontres.

Steve Henot

Le7.info

Toutes les personnes qui ont participé au film étaient à l’avant-première, au Tap-Castille. Moment fort en émotions pour François Perlier. « On appréhende toujours un peu car on n’a pas envie de les décevoir, mais plutôt de les valoriser, confiait-il avant la projection, peu enclin à se mettre en avant. J’ai surtout envie que ce soit notre film, un truc partagé. » 


Le réalisateur a présenté La vie recommencée à l’occasion de la 14e édition de Filmer le travail(*). Lauréat de l’appel à projets de films-documentaires du festival, ce 52 minutes suit le parcours de plusieurs exilés, à Poitiers et à Ruffec, en Charente. Bénédicta, rescapée de la traite humaine au Nigéria, Martha et Hanibal, qui ont fui la répression politique au Honduras… Tous ces 
« personnages » ont en commun la volonté de reconstruire leur vie, loin de chez eux. « Je voulais travailler sur la banalité de l’exil, sur l’installation de ces gens et de leur très longue attente dans le désœuvrement. Un jour, ils ont obtenu le Graal, leur titre de séjour. C’est ce moment que j’avais envie de saisir, dans notre petite ville de province. »


Loin des « points chauds » médiatisés de la migration, le Limougeaud de naissance tenait à raconter « une autre étape de l’exil, au fond assez classique ». Il avait d’abord écrit ce film sur des personnes de son voisinage poitevin, mais celles-ci se sont finalement rétractées. François Perlier s’est alors mis en quête d’autres témoignages, avec le soutien de structures locales d’aide aux migrants. Lui préfère d’ailleurs parler « d’exilés ». Plus qu’une question de sémantique. « Le terme de « migrant » est galvaudé, souvent employé de manière très déshumanisante. L’exil renvoie à un déracinement qui n’est pas choisi. »


La fibre militante

François Perlier le concède sans mal, il a toujours eu « la fibre militante, révoltée ». Fils de parents enseignants, il convient avoir grandi dans un univers « assez politisé », tendance à gauche, où les enfants suivaient à la Fête de l’Huma, dans les manifs, et où le cinéma social de Ken Loach et Cie avait une place de choix. Ses études supérieures en géographie humaine l’ont ensuite amené à s’intéresser particulièrement aux migrations. « Dans l’histoire du monde, la société se construit aussi par des gens qui arrivent. »

Puis il est rattrapé par sa passion pour la vidéo, qui lui a fait tourner ses premiers courts-métrages, à 18 ans, avec les copains. Direction donc le master Creadoc, à Angoulême. La réalisation documentaire, plutôt que la fiction. « L’une des qualités du documentaire est d’aller chercher des gens, c’est une façon de raconter le monde », estime-t-il. Le diplôme en poche, François Perlier s’installe à Poitiers avec des camarades de promo, avec lesquels il monte des projets de réalisation, des boîtes de production. Il n’en est jamais parti depuis.


A 43 ans, il compte à son actif plusieurs documentaires indépendants pour la télévision, dont Voukoum, film multi-primé et programmé dans de nombreux festivals en France et à l’étranger. Fasciné par le mouvement culturel que le groupe de musiciens éponyme représentait pour la Guadeloupe, François Perlier a eu un « coup de foudre » pour les îles des Caraïbes. « C’est une région à laquelle je suis très attachée, j’ai appris à parler le créole. » Son prochain projet, 
« le plus ambitieux », s’intéressera d’ailleurs à la culture populaire en Haïti, dont la spiritualité a été forgée par un élan de liberté et d’affirmation identitaire. Dans la dernière ligne droite, le Poitevin d’adoption se projette déjà sur la suite. Après un docu consacré à la résistante Martha Desrumaux (Le Souffle de Martha), un autre profil de femme militante a retenu son attention…


« Un métier 
où il faut s’investir »

La fiction, il s’y est frotté une fois, déjà pour parler d’un « exilé » africain lâché en plein campagne (Le Cri du milan noir). Une histoire du réel, encore et toujours. « La fiction peut être une alternative pour raconter des choses vraies. Mais cela demande beaucoup de travail. C’est quelque chose que j’essaye de faire petit à petit. » Voilà quelques années que François Perlier a arrêté les commandes institutionnelles 
-« qui portaient sur des choses qui m’intéressaient »- pour pouvoir se consacrer à ses propres projets. Même si cela n’a rien d’aisé à une époque où « les modes de production sont de plus en plus précaires », selon lui. « C’est un peu la vie d’artiste entre guillemets ! » Sans compter que « c’est un métier où il faut s’investir pleinement, difficile à départir de la vie perso ». 
Les tournages l’obligent ainsi à des absences de plusieurs semaines, loin de Poitiers et de sa fille de 10 ans. Mais le documentariste tient à ce rôle de « passeur », comme il dit, qui l’enrichit humainement. Plus que jamais, il est convaincu des vertus de la rencontre, dont il espère transmettre le goût aux spectateurs à chacun de ses films. Comme un rempart. « C’est de la méconnaissance que naît la peur, et donc l’hostilité. »


(*)Il sera diffusé le jeudi 16 mars à 22h50 dans La France en Vrai, sur France 3 Nouvelle-Aquitaine.

À lire aussi ...