Victor Fighiera, tofu express

Victor Fighiera, 29 ans. Poitevin d’adoption et fier de l’être. A découvert à Hong Kong sa fibre écologique… et le véritable tofu, qu’il fabrique désormais à Coulombiers sous la marque Tofu du Poitou. Entrepreneur dans l’âme, voyageur sans avion.

Claire Brugier

Le7.info

L’effet est quasi instantané. Au contact du sel de nigari, le lait de soja brûlant se grumelle. Victor Fighiera observe la réaction en remuant délicatement le mélange. « Le tofu, ça ne se décrète pas, ça s’apprend », glisse le jeune artisan de 29 ans. Lui est allé percer le secret du fameux « fromage de soja » à la source, en Asie, au terme d’un voyage de neuf mois en train, en bus, parfois en stop, aux côtés de sa compagne. « C’est le voyage d’une vie. On y a mis toutes nos économies ! » Au retour, le néo-Poitevin -et fier de l’être- a installé son laboratoire à Coulombiers et créé la marque Tofu du Poitou. Quant à Léa, elle a repris le salon de thé Jasmin Citronnelle, rebaptisé Mimosa, en centre-ville de Poitiers. Nouvelles activités pour une nouvelle vie de reconvertis. Victor a définitivement abandonné « l’idée de changer le système de l’intérieur ». A qui la faute ? A Hong Kong, où l’étudiant curieux a posé une première fois ses valises entre 2015 et 2017, pour les besoins de son double diplôme en sciences politiques et commerce. « Hong Kong est une ville libérale, capitaliste, centrée sur la consommation. Et aussi très hors sol. Je crois que c’est là-bas qu’est née ma conscience écologique », confie l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Première résolution : ne plus prendre l’avion. Un père cadre dans la banque, une mère dans l’aérospatiale, « j’avais beaucoup voyagé étant jeune, j’avais déjà un bilan carbone désastreux ! (sourire) » 


 

Reconversion

 

A Hong Kong, Victor a aussi découvert « le vrai bon tofu ».
 De quoi marquer ses papilles de manière indélébile. 
« Jusqu’alors, pour moi, c’était un bloc blanc et insipide. Or en Asie il a une place de choix. Il n’est pas destiné qu’aux végétariens et peut même parfois accompagner de la viande. On le retrouve dans une sauce très épicée, haché, mijoté… » Sans oublier la Fleur de tofu, un encas sucré, son péché mignon. « En cuisine, le tofu est une page blanche. » 


De retour en France, le Parisien d’origine s’est d’abord tourné vers le secteur public, et plus précisément la communauté urbaine de Dunkerque où il a travaillé en tant que… chef de projet sobriété énergétique. Mais sa conscience écologique n'était pas pleinement satisfaite. Au bout de deux ans, il a rejoint La Traverse, « une association co-fondée avec des amis de master pour accompagner les collectivités de Nouvelle-Aquitaine engagées dans des projets de transition écologique ». La Traverse était basée à Poitiers, il s’y est installé. Une nouvelle fois, deux ans ont passé. Victor parle d’une 
« super expérience » mais, car il y a un mais, « il [lui] manquait la dimension manuelle ».

« Je n’ai pas 
trouvé de terres. »


En 2023, l’entrepreneur-né s’est donc mis en tête de s’installer comme agriculteur pour cultiver… du soja ! « J’ai passé mon BP REA (ndlr, brevet professionnel responsable d’entreprise agricole) mais je n’ai pas trouvé de terres. Alors je me suis dit que c’était le moment de me lancer dans mon projet tofu. » Seul hic, 
« en France il est beaucoup plus compliqué de trouver un producteur de tofu qu’un fromager ». Et ceux qui étaient déjà installés avaient peu de temps à consacrer à un novice. D’où le grand voyage jusque dans un coin reculé de Taïwan, au cœur d’un atelier de fabrication de tofu. 


Circuits courts

« J’y ai tout appris. Il y a tellement de paramètres : le temps de trempage des graines de soja, la quantité d’eau pour diluer, la température et l’humidité extérieures… Je suis revenu avec trente pages de notes ! » D’une usine située non loin de là, Victor a aussi importé son moulin à broyer les graines de soja, sa presse, sa machine à mettre sous vide. Mais même avec ce matériel, « je ne peux pas répliquer ce que j’ai appris, constate-t-il, résigné. Disons que je m’inspire du savoir-faire traditionnel taïwanais en partant du terroir local. » L’artisan se fournit en Charente-Maritime pour les graines de soja -bientôt à Champigny-en-Rochereau-, à Bressuire pour le bois de châtaigner servant au fumage… Et il vend son tofu sur le marché Notre-Dame de Poitiers le samedi matin. Sa recette d’une reconversion réussie : circuits courts, soja et temps pour soi. 
« Les 35 heures sont un impensé complet de l’artisanat. Mais un métier passion ne justifie pas de se tuer à la tâche. » Le maître tofu en devenir n’est pas prêt à sacrifier ses loisirs, comme le cinéma -celui de Wong Kar-wai en tête- ou la musique, « du rock essentiellement » au milieu duquel vient dissoner la playlist de son grand voyage. « C’est mon petit plaisir coupable, ma madeleine de Proust même si, convient-il tout sourire, la pop ouzbèque, ce n’est pas toujours terrible… ».

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