Salem M’Rabet. 35 ans. Fondateur et président de l’association Vélotaf Grand Poitiers. Inspecteur principal des finances publiques. Issu d’un quartier populaire d’Auxerre. Talent des Cités 2025. Pur produit de la méritocratie. Père de deux enfants.
« Attention mon fils, ne fais pas comme les autres. » Longtemps, l’injonction paternelle s’est fracassée sur un mur d’incompréhension. Longtemps, le fils d’immigrés marocains, né à Larache, a répété cette phrase dans sa tête, essayant de lui donner un sens. Et puis, un jour, il a compris que l’épée de Damoclès de sa future nationalité française « l’obligeait ». A rester dans les clous. A être un bon élève... A la table des confessions, Salem M’Rabet rembobine les souvenirs de son enfance avec la gourmandise d’un cycliste adepte de la longue distance, les péripéties en plus. Quoi qu’il juge son parcours « pas exceptionnel ».
« Enfin, peut-être par rapport à là d’où je viens ! »
La trajectoire ascensionnelle de jeune-de-Zup-qui-a-réussi-sa-vie lui a valu en avril de recevoir le Talent des Cités 2025. Monsieur l’inspecteur principal des finances publiques s’est fendu d’un long billet sur son compte Linkedin, remerciant ici et là tous ceux qui ont compté sur sa route. A commencer par Mourad Youbi, « un grand frère » du quartier Sainte-Geneviève d’Auxerre, « écouté, engagé, reconnu ».
« Jamais premier de la classe », le Poitevin d’adoption l’assure : « Pour s’en sortir, il faut certes plus de détermination, de travail et d’acharnement mais c’est possible. L’ascenseur social ne marche pas toujours. Moi, j’ai pris le vélo ! »
Scepticisme
Ah, le vélo... Il l’accompagne depuis son enfance, d’abord simple moyen de locomotion pour aller au collège ou rejoindre le dojo, à dix minutes de pédalage. A cette époque « heureuse », le minot ne rêve pas spécialement d’un métier, il s’accroche au quotidien, juste soucieux de
« réussir pour [ses] parents » et son entraîneur de judo, malgré le scepticisme de ses profs sur son avenir professionnel. « J’ai entendu plein de petites phrases qui ont été comme des défis à relever, des challenges. »
Salem cite a contrario volontiers « M. Zenasni, le premier prof (d’éco-gestion) à avoir cru en moi. Il savait que j’étais un besogneux, mais il a vu mon état d’esprit ». Le judoka finira ceinture noire avec quelques compétitions en inter-région, jusqu’à arrêter en raison de ses études. Sacrée école de la vie où « tout se mérite sur le tatami. Ça demande beaucoup, beaucoup d’efforts ! »
« Pour moi,
le vélo signifie être en bonne santé et bien dans sa tête. »
Le bachelier du lycée Jean-
Joseph-Fourier -mention assez bien- ne s’est jamais contenté du minimum. L’étudiant « moyen et invisible » recalé de l’IUT GEA de Dijon se promet d’y revenir en
2e année. Ce qu’il fait, terminant 2e de sa promo à Troyes. Le niveau s’élève, alors Salem va voir « les meilleurs étudiants dans leur chambre pour qu’ils [lui] expliquent des trucs ». Banco.
« Ça, c’est vraiment l’histoire de ma vie ! », sourit le titulaire d’un master 2 en finances et contrôle de gestion. D’abord embarqué dans une carrière dans le privé (HMY, Bouygues construction), Salem a pris la tangente, pas forcément prêt à jouer les coast-killers avec des codes qui lui échappent.
« Sur un coup de tête »
Il lui faut du sens. Nouvelle plongée dans les études à l’Ecole nationale des finances publiques à Lyon, puis à Clermont. Avec encore cette envie de gravir les échelons. Aujourd’hui, le père de Zayd (5 ans) et Zahra
(1 an) gère le pôle gouvernance budgétaire et performance de la préfecture de la Vienne. Et il pédale, un peu, beaucoup, passionnément. Juste avant les Jeux olympiques, « sur un coup de tête », le président-fondateur de Vélotaf Grand Poitiers -cinq ans en juillet-, s’est lancé « un pari un peu fou », un de plus :
rallier la capitale depuis son domicile de Saint-Benoît. L’été d’avant, il a organisé une vélorution à Larache -la ville de son enfance, hein- avec « beaucoup d’enfants et de femmes dans la rue ». « Là-bas, avoir une voiture est un signe de réussite. Pour moi, le vélo signifie être en bonne santé et bien dans sa tête. »
Le trentenaire assure la promotion de la petite reine à coup d’engagements associatifs, en local comme à l’échelle de l’Association française des usagers de la bicyclette. Parfois, il se « flagelle » de ne pas s’être engagé plus tôt, alors que sa vie tout entière ressemble au parfait manuel de la méritocratie à la française. Salem M’Rabet a suivi l’injonction paternelle, il n’a « pas fait comme les autres ». Sa persévérance l’a amené au sommet ou presque de la fonction publique. Il recommande à ses enfants d’être « heureux, peu importe ce qu’ils voudront faire dans la vie ». Ce qui signifie « lever les verrous et les freins psychologiques ». Avec une maxime : « L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. »