Stéphane et Céline à la croisée des chemins

En partenariat avec l’association Audacia, la rédaction du «7» a choisi de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Personnes handicapées, marginaux, femmes seules, délinquants sur la voie de la rédemption… Jusqu’à l’été prochain, les « Oubliés de la vie » auront tribune ouverte dans notre magazine.

Arnault Varanne

Le7.info

 21 janvier 2015. Dehors, il fait 4C° la journée, -5C° la nuit. Karim et Manu, accompagnateurs au Pôle personnes isolées, reçoivent un couple envoyé par l’assistante sociale du secteur de Fontaine le Comte. Sans logement depuis dix mois, Stéphane et Céline vivent une errance contrainte. Accompagnés de leurs deux chiens, ils se sont « posés » à Fontaine le Comte. A bout de forces. Aujourd’hui installés dans un logement et épaulés, ils reviennent sur leur histoire avec beaucoup d’émotion et de franchise.

Stéphane. « Je vais partir de 2004. A ce moment-là, je suis ouvrier agricole. Deux ans avant, j’avais rencontré Céline dans l’Aube. Je travaillais dans la ferme de mon père et aussi dans une autre ferme. J’ai fait des petits boulots en intérim. J’avais le projet de reprendre après lui. Mais il n’a pas voulu. Après, j’ai bossé en usine, mais j’ai pas supporté d’être enfermé. J’ai fait une dépression et j’ai été licencié. (…) Je suis toxico depuis l’âge de 18 ans. Tant que j’ai travaillé, c’était pas un problème. Mais après, c’est comme une spirale. »

« Le début de l’errance… »

Céline. « J’étais encore à l’école quand j’ai rencontré Stéphane. Mais après, j’ai arrêté et on s’est installés ensemble en 2003. Les voisins et les commerçants ont fait une pétition pour qu’on parte parce qu’on avait un look qui ne leur plaisait pas et qu’on écoutait de la musique. Nos fréquentations posaient problème aussi. C’était dans un petit village de 2 500 habitants dans le sud de la France. On a été expulsés. »

Stéphane.
« En 2007, je me suis fait choper pour deal et cambriolage. J’ai été condamné à trois ans de prison dont deux ferme. J’ai fait les deux ans d’un seul coup. Céline avait dit qu’elle était complice pour alléger ma peine, mais ça n’a rien changé et elle a fait vingt-et-un mois en maison d’arrêt. Après, on s’est installés dans les Ardennes. J’ai oublié de signaler le changement d’adresse au SPIP. Je suis retourné en prison pour un an. C’était entre septembre 2011 et août 2012. Le plus dur derrière les barreaux, c’était d’être séparé de Céline. »

Céline. « En 2012, on a débarqué à Charleville-Mézières. J’ai fait une formation de remise à niveau en maths et en français, puis un stage non rémunéré dans un Formule 1. En réalité, je faisais le travail d’une femme de ménage en n’étant même pas payée. »

Stéphane. « En 2014, l’immeuble dans lequel on habitait a été vendu. L’ancien propriétaire a continué à recevoir les APL. Nous, on ne le savait pas et on ne payait donc pas les loyers au nouveau propriétaire. En mars, direction la rue. Ç’a été le début de l’errance… »

Céline. « On a passé un mois à La Rochelle. On était harcelés par la police municipale. Ils détruisaient notre toile de tente. Ils nous ont contrôlés plusieurs fois et nous ont refoulés à une douzaine de kilomètres de la ville. »

Stéphane. « En novembre 2014, on est arrivés à Fontaine le Comte. Dans un bois privé, on a repéré une vieille cabane complètement délabrée. On l’a bâchée pour s’abriter du vent, de la pluie et du froid. Les propriétaires ont accepté qu’on reste là. Il y avait des rats qui entraient à l’intérieur. Ils nous mordaient et mangeaient toute notre nourriture. (…) Avec le temps, il y a eu un peu plus de solidarité. Sandrine Martin, conseillère générale de la Vienne, nous a remis un bon de nourriture de 150€ et, surtout, Philippe Brottier, le maire de Fontaine le Comte, a demandé à la secrétaire de mairie de faire les démarches administratives pour refaire nos papiers d’identité. Il a pris tous les frais à sa charge. »

« Des humains solidaires de leurs semblables »

Le 21 janvier 2015 restera une date particulière dans l’histoire du Pôle personnes isolées (PPI) d’Audacia. « Avec Manu, après avoir écouté Stéphane et Céline, on s’est dit que ce n’était pas possible de les renvoyer à la rue le temps de la procédure. Ils étaient épuisés et désespérés. Ils baissaient les bras. On était en plein hiver. On avait un sentiment d’urgence sanitaire, d’urgence vitale », indique Karim, l’un des accompagnateurs du Pôle. Alors, une chaîne de solidarité s’est mise en marche. « C’était enthousiasmant de voir chacun s’activer à mettre tout en oeuvre pour les accueillir décemment et sans que cela ne soit dans sa fiche de poste ou dans le programme de sa journée, se souvient Claude Hugonnaud, responsable du PPI. « Il est de ces moments, qui fédèrent une équipe, soutenue par des valeurs communes et la satisfaction du travail accompli. Ce jour-là, il n’y avait pas des professionnels dans une procédure d’admission, mais des humains solidaires de leurs semblables. » La responsable avoue sans ambages être « confronté quotidiennement aux difficultés, à la détresse »… « Mais le 21 janvier, ce jeune couple nous a ramenés à l’essentiel, à notre condition d’humain parmi les humains, qui fait des professionnels bienveillants, respectueux et justes… »

 

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