Histoire d'eau

Robert Menaud. 83 ans. Conseiller technique régional et entraîneur en chef du Stade poitevin natation pendant plus de trente ans. A initié la création, en 1965, de la piscine de la Ganterie, et balisé, jusqu’à la reconnaissance internationale, le chemin de quelques unes des plus belles pépites de l’histoire du sport départemental.

Nicolas Boursier

Le7.info

S’il n’était besoin, parfois, de hausser le ton pour se faire entendre, on peinerait à croire que ce jeune homme vient de fêter ses quatre-vingt-trois automnes. La démarche de Robert Menaud est encore alerte, le phrasé limpide. Les sillons de ses rides ? Des lignes d’eau, où s’ébrouent des souvenirs ensoleillés.

Témoins de cette longue vie au service d’une même cause éducative, les coupures de journaux, autrement plus jaunies que celui qu’elles « racontent », sont une à une exhumées. S’y décline une litanie de chiffres et de records, jalons du parcours de l’un des plus grands entraîneurs que la natation française ait jamais comptés. « Regardez, pendant plus de vingt ans, j’ai tout noté des performances de mes nageurs, leurs chronos, leurs médailles. Y’a pas à dire, avec l’informatique, aujourd’hui, ça irait plus vite. »

De cette oeuvre empirique à la calligraphie précise et soignée, résurgence, sans doute, de sa très brève carrière d’instituteur et de prof d’éducation physique, émergent les joyaux d’une collection dorée. Les noms de Schertz, Vibet, Ducongé, Raspotnik, Guillou, Lacombe, Rowarch, Lefèvre, Dubrasquet ou Lalot ne diront sans doute rien aux dernières générations de nageuses et nageurs de Poitou-Charentes. Ils sont pourtant à jamais liés à l’histoire collective du grand Stade poitevin, acteurs d’une longue épopée au cours de laquelle le club trusta les titres nationaux et s’imposa même au sommet de la hiérarchie hexagonale.

Le dire, c’est renforcer la fierté de Robert Menaud, sans qui, faut-il l’avouer, rien ne serait jamais arrivé. Chantal Schertz, première Française sous la minute au 100m nage libre ? Menaud. Ducongé et Schertz, membres du relais 4x100 tricolore médaillé de bronze aux « Europe » 1975 ? Encore Menaud. Frédéric Lefèvre, meilleur chrono mondial de l’année 1990, toujours sur la distance reine, et quatrième, avec le relais français, aux JO de Barcelone en 1992 ? Toujours Menaud.

Aujourd’hui n’est plus hier

Dans ce tourbillon de reconnaissances, un seul regret s’est noyé. « Celui de n’avoir pu accompagner mon relais féminin, recordman de France de 1974 à 1977, sous les 4 minutes. Elles se sont arrêtées à 4’01’’06. Dommage ! » Un autre, plus grand encore, ne cesse de le tarauder, depuis l’heure de la retraite, sonnée en 1997. « Pendant trente-cinq ans, j’ai assumé la fonction de conseiller technique régional auprès de la Direction jeunesse et sports. Pendant trente-deux ans, j’ai passé mes journées, mes week-ends et mes vacances à essayer de tirer le meilleur des nageuses et des quelques nageurs confiés à mes soins. Je me suis efforcé de mettre en place une méthode d’entraînement à deux séances quotidiennes. J’ai même instauré, pour chaque élément de mon groupe, l’obligation de remplir un carnet de notes, dans lequel devaient être consignés temps du jour, difficultés rencontrées, état d’esprit du moment… Que reste-t-il de tout cela ? »

Robert a quelquefois le sentiment d’« avoir été oublié » par ses pairs, mais s’avoue avant tout déçu que le culte de la compétition n’ait pas survécu à son départ. Oubliée la salle de musculation créée sous la piscine de la Ganterie, son oeuvre bâtisseuse de 1965. Envolée l’unité de récupération qui façonnait les corps. « Quand j’ai quitté les affaires, renchérit-il, le SPN était encore premier club de France. Aujourd’hui ? » Silence. « Aujourd’hui, c’est aujourd’hui ! »

Fin de la parenthèse. Retour aux archives. Tiens, celles-là rappellent que le natif de Saint-Jean d’Angély, fils de boulangers, aujourd’hui deux fois papa et six fois grandpère, fut également un brillant poloïste et un non moins excellent footballeur. Un « fin technicien, adroit devant le but », qui porta -« une seule fois »- le maillot de l’équipe de France juniors (excusez du peu !) et fut champion de France amateur avec Cholet, au sortir de son service militaire. « Hélas, à 29 ans, une double fracture cheville, tibia-péroné a mis fin à tout. » Non, pas à tout. Car qui sait si, sans cette fâcheuse blessure, Menaud le couteau suisse aurait à ce point marqué l’histoire de la natation tricolore. « Je ne sais pas, je ne sais pas, se contente de répondre l’intéressé. Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que le sport a construit toute ma vie. »

D’abord dans le sillage de son père, qui a créé le club de natation de Saint-Jean d’Angély, et de son frère aîné, nageur et footballeur lui aussi. Puis à la force de la conviction et de la passion. « Il m’a même permis de rencontrer ma femme, Paulette, alors secrétaire à la direction de Jeunesse et sports. Un tel destin, je le reconnais, était inespéré. » En quatre-vingttrois ans, cet inespéré a pris corps. Essaimant souvenirs et bonheurs. Un dernier ? Les Jeux de Montréal, en 1976, vécus en tant qu’entraîneur de la sélection nationale féminine. Le 110m haies gagnant de Guy Drut ? Le passage historique de Jim Montgomery sous les 50 secondes au 100m crawl ? Le voyage en Concorde ? « Alors, c’était bien, Robert ? » Plus besoin de hausser le ton pour se faire entendre. « Extraordinaire ! ». Le qualificatif de sa propre vie. Et d’une oeuvre offerte à la reconnaissance éternelle.

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