Abder El Albani, calé en géo

Abderrazak El Albani. 48 ans. Géologue renommé, voyageur expérimenté. A découvert les formes de vie les plus anciennes de l’histoire de l’Humanité. Et a toujours refusé les sollicitations des plus prestigieuses universités. Il tient à conserver son cadre de vie poitevin.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

Il fait beau ce samedi matin, sur le campus de l’université de Poitiers. Point d’étudiants à l’horizon, c’est le calme plat. Dans les couloirs quasi déserts du bâtiment B35, seuls quelques irréductibles chercheurs et doctorants ont fait le déplacement, pour plancher sur leurs travaux respectifs. Le progrès n’attend pas. à l’étage, derrière une porte siglée « Union européenne », Abderrazak El Albani ouvre ses mails des dix derniers jours. « Je suis revenu du Japon avant-hier, lâche-t-il, le regard quelque peu embué à cause du décalage horaire. J’étais parti donner des cours et des conférences à Tokyo et Okinawa. C’est un pays fantastique ! »
Malgré la fatigue, le professeur de l’Institut de chimie des milieux et matériaux (IC2MP) de l’université de Poitiers continue d’accepter les invitations. La nôtre en l’occurrence. L’universitaire est animé d’une motivation et d’une volonté inébranlables de partager ses savoirs. Comme depuis toujours. « Je m’inspire toujours de Gargantua, qui disait à son fils Pantagruel : « Science sans conscience n’est que ruine dans l’âme ». » Dans la communauté des chercheurs poitevins, Abderrazak El Albani est certainement l’un des plus connus à travers le monde. En 2008, alors quasi inconnu au bataillon des grands scientifiques, il découvrait, au Gabon, des formes de vie multicellulaires vieilles de plus de deux milliards d’années. Une révolution quand, jusqu’alors, les plus prestigieuses universités n’avaient pas réussi à trouver de vie avant cinq cents millions d’années. « Je n’avais jamais pensé pourvoir aller aussi loin », confie aujourd’hui le géologue, qui nourrit l’espoir que le site de la découverte soit classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

 

« Petit, je voulais devenir policier, ou médecin »

 

Huit ans plus tard, « Abder » n’a pas changé. Il travaille toujours dans le même petit bureau du bâtiment B35. Le bling-bling, très peu pour lui. Et si ses collègues le taquinent sur ses apparitions médiatiques, c’est plus par sympathie que par jalousie. « J’ai plein d’amis ici, je me sens bien à Poitiers. Ma famille et moi avons pris goût à la vie à la campagne. Aujourd’hui, je suis très content d’être là. Inch’Allah ! » Formé à Lille puis en Allemagne, arrivé en 1999 à Poitiers, le géologue vit désormais avec sa femme et son fils à Montamisé. Loin de son Marrakech natal, où son destin aurait pu être tout autre. « Petit, je voulais devenir policier, comme mon père, ou médecin. J’étais d’ailleurs accepté en faculté de médecine à Lille, mais ma mère ne voulait pas me laisser partir si loin d’elle. J’étais le petit dernier d’une fratrie de dix. Je ne regrette rien. » Bien lui a pris d’embrasser la carrière de géologue.
À 48 ans, le Poitevin d’adoption, professeur à l’université de Poitiers, parcourt le monde pour délivrer son savoir, mais aussi apprendre. « L’échelle locale ne reflète pas ce qui se fait à l’extérieur. Il faut sortir de son cocon pour s’enrichir. » Abderrazak El Albani est un baroudeur. Avide de parcourir la France comme l’Europe. Et même capable de prendre la parole aux Nations Unies, à New York, pour présenter ses travaux. « Ce qui m’anime, c’est la passion. Elle est chez moi presque excessive. Je ne m’accorde même pas le temps d’aller chez le médecin. »

 

« T’as intérêt à ne pas décevoir »

 

Plusieurs fois sollicité par les plus prestigieuses universités pour rejoindre leurs rangs, le géologue globe-trotter a toujours refusé. « La meilleure recherche, c’est celle qui sort des sentiers battus. Et ce n’est pas parce que vous êtes à Paris, Cambridge ou à Oxford que vous serez meilleur. » Derrière son optimiste et sa motivation infaillibles, se cachent toutefois quelques doutes. « Parfois, on se demande si ça vaut le coup. Mais quand je vais dans les petits villages poitevins ou à Tokyo, que je vois les yeux des gens pétiller lorsque je leur parle de mes travaux de recherche, je me dis : « Mon gars, t’as intérêt à bosser encore plus pour ne pas décevoir ». »

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