Insoumise à nu

Françoise Petit. 71 ans. Coordinatrice du planning familial de Poitiers. Féministe depuis toujours, ou presque. Signe particulier : tourne rarement sa langue dans sa bouche avant de parler et ne mâche pas ses mots. Un coeur grand comme la mer qui l’a vue grandir.

Florie Doublet

Le7.info

« Me mettre à nu ? Pas de problème, je suis naturiste ! » Elle est comme ça Françoise Petit… Sans fausse pudeur ni retenue. « Mes amies disent que je suis « cash ». Peut-être un peu trop. » A 71 ans, la coordinatrice du planning familial de Poitiers possède une âme juvénile. Seules les quelques rides qui marquent son cou lui rappellent le poids des années. Une vie menée tambour battant et un militantisme inébranlable, ça conserve ! « Vous allez me demander comment je suis devenue féministe et, à vrai dire, je n’en ai aucune idée, lâche-t-elle dans un grand éclat de rire. Je l’ai sans doute toujours été, mais je ne le savais pas. »

Cette fille d’agriculteurs a grandi à Talais, un petit village du Médoc, « tout près de Soulac sur Mer ». Entourée de femmes. Les hommes de sa famille sont décédés très tôt. Son arrière-grand-mère était veuve, sa grand-mère aussi… « Elles ont donc dû prendre les choses en main. Sans doute m’ont-elles inoculé le virus. »

Pilule rouge

Une chose est sûre, la pétillante septuagénaire se souvient précisément des raisons qui l’ont incitée à pousser la porte du planning familial de Poitiers. « C’était il y a trente-cinq ans, se remémore-t-elle. A ma gauche, les couches de ma grande, à ma droite, celles de mon petit. J’étouffais. J’avais besoin d’air ! Mais ce n’est pas tout. J’exerçais le métier de documentaliste dans une école agricole et j’étais devenue la confidente des jeunes filles. « Françoise, je n’ai pas eu mes règles, suis-je enceinte ? », « Dis, comment je vais faire pour avoir la pilule ? ». Elles ne connaissaient rien à la sexualité ! »

Forte de ce constat, l’enseignante a décidé qu’il était grand temps de « faire quelque chose ». « Enfin, ce sont les explications que je donne quand on me pose la question. Dans la vie, nous avons tous des raisons avouées, mais sont-elles les bonnes ? Je l’ignore. »

Bien qu’« éternelle optimiste », cette passionnée de généalogie a la sensation que la société a « beaucoup régressé ». Lorsqu’elle a du temps à perdre -et la dynamique retraitée en a peu- Françoise s’amuse à consulter les petites annonces. Pas dans l’espoir de (re)trouver le grand amour -« non merci ! »- mais pour y déceler les stigmates du « sexisme ambiant ». « Vous vérifierez, tous les hommes demandent une femme douce et discrète. Autant vous dire qu’avec moi, ils seraient mal barrés ! »

A-t-elle déjà songé à baisser les bras, à raccrocher les gants et s’avouer vaincue ? « Jamais ! Être féministe, ce n’est pas que des mots, pas qu’une posture. Je ne peux pas faire autrement. Une fois qu’on a ouvert les yeux, on ne peut plus les refermer. » En clair, la Girondine a avalé la pilule rouge. Et depuis, elle voit le sexisme là où d’autres ne trouvent rien à redire.

« T’as pas d’humour »

Récemment, la relaxe du rappeur Orelsan l’a fait sortir de ses gonds (l’artiste avait été poursuivi pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les femmes » Ndlr). Et gare à ceux qui viendront lui dire qu’elle n’a « pas d’humour ». « Mais ça, je le sais déjà, on me l’a répété au moins 50 000 fois. Si avoir de l’humour, c’est renforcer des stéréotypes sexistes et normaliser les violences, alors non, je ne suis définitivement pas drôle. » En 2009, elle s’était insurgée contre la venue du chanteur au Confort Moderne. Sa colère n’avait alors pas été très bien comprise… « J’ai assisté au conseil d’administration : que des mecs. Je leur ai expliqué : « Non, quand on dit « Ferme ta gueule ou tu vas te faire marietrintigner », ce n’est pas rigolo. » »

Elle l’avoue sans ambages, son engagement et son franc-parler ont pu la couper de « certaines personnes ». « Ce n’est pas renoncer, c’est choisir. » Elle l’affirme avec le sourire. Un petit sourire qui masque de grandes cicatrices. Sa joie de vivre, sa grande force, lui a permis d’avancer, quand tout s’effondrait autour. « Bien sûr que j’ai été malheureuse. Comme tout le monde. Et si vous ne l’avez pas encore été, vous le serez un jour... » Une évidence qui n’a rien de pessimiste. « L’important, c’est de savoir rebondir. A une période de ma vie, j’aurais pu plonger dans le désespoir et, croyez-moi, je n’en étais pas loin, mais je suis une battante. » Elle n’en dira pas plus. La femme qui se met à nu a aussi le droit, parfois, de se couvrir d’un voile pudique…

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