Nuit Debout, à l'aube d'une nouvelle ère

Depuis le 9 avril, des dizaines de Poitevins se rassemblent, chaque soir, sur la place d’Armes, pour discuter des sujets qui les préoccupent. Revisitant le débat démocratique, ils disent non au système tout entier et aux décisions gouvernementales. Et ne comptent pas lâcher prise.

Marc-Antoine Lainé

Le7.info

18h sur la Place d’Armes. Tandis que le soleil amorce sa descente quotidienne, les terrasses des cafés ne désemplissent pas. Il règne un climat de sérénité aux abords de l’Hôtel de Ville (*). Semblable à celui des premiers jours d’un printemps pourtant assombri par l’actualité nationale et internationale. Sur les pavés blancs du coeur de ville s’installent, comme chaque soir, une cinquantaine de Poitevins de tous horizons. Etudiants, chômeurs, précaires, militants... Certains fabriquent des pancartes, sur lesquelles on peut lire « Nuit Debout ». D’autres s’assoient en cercle pour préparer les débats du soir. Ils sont là pour parler, jusqu’au crépuscule. Ensemble. Et refaire le monde à leur manière.

Né à Paris, au lendemain des premiers mouvements de contestation contre la loi Travail, la Nuit Debout a envahi les villes de province. Ça et là, les Français se rassemblent de manière pacifique, sur les places, en formant des assemblées qui rappellent les agoras grecques. « La configuration sociale actuelle a permis à cette initiative de prendre, assure Nicolas, 37 ans. Grâce aux réseaux sociaux, tout se sait très vite. C’est en quelque sorte notre Printemps arabe à nous. On se réapproprie l’espace public. »

Le projet de loi El Khomri n’est en fait que « la goutte d’eau qui fait déborder la marmite », explique Amélie, 22 ans. À Nuit Debout, on parle répartition des richesses, inégalités sociales, société de consommation, problèmes écologiques, sexisme... « Tout le monde peut s’exprimer, tout est ouvert au débat, reprend Nicolas. On fait de la politique au sens noble du terme. » Ici, on a le souci de l’égalité, de la parité, à tous points de vue. Tout le monde parle « en son propre nom ».

Sur Twitter, les posts de Nuit Debout Poitiers (@NPoitiers) sont d’ailleurs très clairs à ce sujet. « Personne n’est porteparole. Vous avez une question ? Posez-la publiquement ou venez aux assemblées générales. » Demos cratos, le pouvoir au peuple, la chose publique.

« Un ras-le-bol général »

« Nous assistons à la création d’une nouvelle forme d’expression libre et à l’émergence d’une parole citoyenne. » Wenceslas Lizé, maître de conférences en sociologie à l’université de Poitiers, a découvert la Nuit Debout à Paris, lors d’un déplacement professionnel, avant de s’intéresser au « phénomène » poitevin. « Il y a aujourd’hui une réelle volonté de marquer ses distances vis-à-vis du pouvoir et des partis politiques. Nuit Debout est l’illustration d’un ras-le-bol général. »

Sur la place d’Armes, on aborde la question de l’état d’urgence. Pas de celui mis en place pour lutter contre le terrorisme, non, plutôt de « l’état d’urgence humain et social », que dénoncent Manuel, 62 ans, et l’ensemble de l’assemblée. Tous ici semblent déterminés à tenir sur la durée. « Il ne faut pas s’essouffler, reprend Marie. Nous devons continuer de nous rassembler, chaque soir, chaque semaine, chaque mois. Les politiques ont peur, ils savent que quelque chose d’extraordinaire est en train de se passer. » À Poitiers, comme ailleurs, la Nuit Debout résiste à l’endormissement. Jusqu’à l’épuisement ?

 (*) Deux cents personnes se sont rassemblées, samedi dernier, aux Couronneries.

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