600€ contre la liberté

Prise au piège d’un réseau de prostitution, Grace a dénoncé ses proxénètes. Elle espère désormais rester légalement en France, mais la préfecture de la Vienne lui réclame 600€ pour obtenir un titre de séjour. Une somme que la Nigérianne ne parvient pas à réunir. Sauf à retourner sur le trottoir.

Florie Doublet

Le7.info

600€. C’est le montant que doit réunir Grace pour rester en France. Elle ne les a pas. La Nigérianne de 28 ans a vécu l’enfer des réseaux de prostitution. Aujourd’hui, elle en est sortie grâce à l’accompagnement de l’association « Les Amis des femmes de la Libération » (LAFL).

Le 15 juin dernier, elle a porté plainte contre X auprès de la doyenne des juges d’instruction du Tribunal de grande instance de Poitiers pour « traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle » et « violences, menaces et contraintes sur personne vulnérable ». Cette plainte lui a permis d’obtenir, auprès de la préfecture de la Vienne, un récépissé de demande de titre de séjour.

Mais pour recevoir une carte de séjour valable un an, elle doit débourser 260€, auxquels il faut ajouter 340€ pour le visa de régularisation. « Pour résumer, une personne qui aura eu le courage de pointer du doigt ses détracteurs, de raconter devant un juge les tourments qu’elle a vécus, se voit contrainte de trouver 600€ pour avoir le droit de rester en France », s’indigne Christopher Appell, bénévole des AFL et « tuteur » de Grace.

Son avocate, Me Simone Brunet, assure qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. « C’est un vrai problème, souligne-t-elle. Bien souvent, ces femmes ne peuvent compter que sur la solidarité. » « D’un côté, l’Etat leur demande de dénoncer leurs proxénètes et leur fait jurer ne pas retomber dans la prostitution. De l’autre, il réclame des sommes qu’elles ne possèdent pas, s’indigne Christopher Appell. Quelle est la logique de ce raisonnement ? Elles n’ont pas d’autres choix que de retourner sur le trottoir ! »

D’UN ENFER À L’AUTRE

Grace est désemparée. « Il est hors de question que je me prostitue encore, assure-t-elle. L’année dernière, j’ai été attaquée par un client avec une arme à feu. Il m’a violée. C’était plus que je ne pouvais en supporter. » Et ce n’est qu’un aperçu des sévices subis depuis 2010. Menacée de mort par son époux violent -auquel elle avait été mariée de force-, Grace n’a pas eu d’autre choix que de fuir. « En Libye, un passeur m’avait donné le numéro de quelqu’un qui pourrait m’aider. J’ignorais où je mettais les pieds. »

Le piège s’est refermé sur elle. Arrivée à Paris (après être passée par l'Italie), elle a été prise en charge par une « mamma ». « J’étais hébergée chez elle. Elle m’a signifié que je lui devais 62 000€. Moi, je ne comprenais pas la valeur de l’euro. Elle m’a mise sur le trottoir. J’ai refusé. Elle m’a battue, séquestrée et privée de nourriture pendant trois jours. Je n’avais pas le choix. » Une nouvelle fois, Grace a fui l’enfer en se rendant à Poitiers. « J’ai continué à lui envoyer de l’argent pour qu’elle laisse ma famille tranquille au Nigéria. Au total, je lui ai versé 27 000€. » Aujourd’hui, Grace n’a qu’un espoir : prendre un nouveau départ. Par tous les moyens, elle tente de réunir les 600€ nécessaires à l’obtention de son titre de séjour. Sans savoir si elle y parviendra…

 

Un besoin d’aides 

Les bénévoles anglophones de l’association des « Amies des femmes de la Libération » accompagnent actuellement quatorze femmes, dont la moitié tentent de sortir de la prostitution. 90% d’entres elles sont Nigériannes. Ils les aident dans leurs démarches administratives, (rendez-vous chez le médecin, avocat, à la préfecture…). La structure a besoin de béévoles et d’une aide financière afin de soutenir ces femmes sur le chemin de la réintégration. 

Rendez-vous sur le site de l’association : www.lafl.fr

Un pot commun a été créer pour aider Grace, rendez-vous sur www.lepotcommun.fr
L’Assemblée nationale a voté, le 6 avril dernier, la loi sanctionnant les clients de prostituées. Depuis, environ deux cent cinquante clients ont été verbalisés par la police et la gendarmerie sur le territoire français. Selon les données de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, 40 000 personnes se prostituent en France. Pour le Syndicat du travail sexuel, cette loi a « précarisé les prostituées ». « Moins de clients signifie moins de revenus, mais aussi davantage de danger en termes de sécurité et de santé, affirme l’un des porte-paroles du Strass. Les travailleuses du sexe acceptent fréquemment de s’isoler dans des lieux éloignés, avec des clients potentiellement violents... »

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