Abchir, entre ombres et lumière

Aux Trois-Cités, l’ouverture d’une nouvelle salle de prière suscite la controverse, notamment au sein de la communauté musulmane. L’association Abchir joue la transparence, mais ses initiatives passées font planer le doute sur ses intentions réelles.

Romain Mudrak

Le7.info

Le 11 février, Abchir a ouvert en grand les portes de sa nouvelle salle de prière, allée des Jardinières. A l’heure des réjouissances, aucun élu poitevin et très peu de présidents d’associations des Trois-Cités, pourtant tous invités. « J’ai fait un pas vers eux, je suis en paix avec ma conscience et le seigneur », assure Abdelmadjid Amzil, président de « La réjouissance » (en français). Même l’imam de Poitiers a séché l’inauguration de ce « lieu de culte de proximité », censé faciliter la vie quotidienne des musulmans. « Evoquer la distance avec la mosquée de la rue de la Vincenderie est faire l’éloge de la fainéantise », tacle Boubaker El Hadj Amor, président de la communauté poitevine. Qui aurait préféré que « tous les efforts financiers se concentrent sur la finition de la grande mosquée ». De fait, Abchir a pu compter sur la générosité des fidèles pour louer le bâtiment, le rénover et payer les charges courantes. Une quarantaine d’entre eux se sont engagés à verser 20€ par mois pendant plusieurs années. Montant de l’enveloppe : 120 000€.

Soucieux de jouer la transparence, Abdelmadjid Amzil n’hésite pas à montrer les noms des donateurs, le montage financier, ainsi qu’à évoquer le consentement des riverains. Ses efforts, aussi louables soient-ils, ne parviennent pas à dissiper les doutes de beaucoup d’habitants... et d’élus. Des doutes qui remontent à 2013, année d’ouverture de son espace cultuel et culturel, au cœur du centre commercial. « Le président m’a indiqué qu’il y donnait des cours de soutien scolaire aux enfants et d’enseignement en langue arabe, mais n’avait pas de lien avec les écoles ni le centre socioculturel, témoigne Catherine Coutelle, députée de la 2e circonscription de la Vienne. Je lui ai conseillé de s’ouvrir aux autres pour éviter les fantasmes. » Lors de cet entretien, qui remonte à un an, un autre élément avait troublé la parlementaire socialiste. « Une femme m’avait demandé la possibilité d’ouvrir des créneaux réservés à la piscine. Ce à quoi je m’opposerai toujours... »

Tariq Ramadan, le péché originel 

Sur le terrain de la critique, l’un des anciens coéquipiers d’Abdelmadjid Amzil à l’ES Trois-Cités se montre carrément offensif. « A l’époque, il ne comprenait pas pourquoi nous buvions de l’alcool pendant la troisième mi-temps. C’est quelqu’un de manipulateur, qui a usé decertaines ruses pour obtenir le local du centre commercial. Et puis, il a fait venir Tariq Ramadan. » De là à penser qu’Amzil cautionne le fondamentalisme des Frères Musulmans, il n’y a qu’un pas... que l’intéressé ne franchit pas. Mais force est de constater que la conférence donnée par le sulfureux Ramadan, en juin 2013, colle aux basques du président d’Abchir.

Pressenti pour être sur la liste de Jacqueline Daigre, aux Municipales de mars 2014, il avait disparu du casting définitif. Pour autant, il serait malhonnête de jeter l’opprobre sur les activités d’Abchir. « Il y a une attente en matière d’initiation religieuse de la part des habitants du quartier, à laquelle nous ne pouvons pas répondre, estime Vincent Divoux. De notre côté, la porte n’est pas fermée... » Au même titre qu’un représentant de l’évêché, le directeur du centre socioculturel faisait partie des rares invités à avoir honoré de sa présence le rendez-vous du 11 février.

 

Sujet sensible

« Pour vivre heureux, vivons cachés. » L’adage populaire sied parfaitement à la communauté musulmane de Poitiers. En tout état de cause, c’est la ligne défendue par Boubaker El Hadj Amor depuis plusieurs années. Après les attentats de janvier 2015, le « patron » des musulmans de Poitiers avait appelé les siens à jouer profil bas, en raison de l’état de l’opinion et des amalgames possibles entre l’immense majorité des fidèles et les fous de Dieu. Deux ans plus tard, l’imam n’a pas changé d’avis et l’ouverture de la salle de prière des Trois-Cités lui paraît un mauvais signal. Le député-maire de Poitiers est sur la même longueur d’onde et appelle de ses vœux toutes les sensibilités à se mettre autour de la table, de manière à ne pas multiplier les lieux de rassemblement. A l’approche des Présidentielles, le débat autour de la place de l’Islam en France relève évidemment de la haute voltige. Parce que la récupération politique n’est jamais loin. Parce qu’il est tentant d’accabler par peur ou de stigmatiser par ignorance. Alors, sur ce sujet, gardons-nous de tout jugement hâtif... sans toutefois occulter la réalité des dissensions. 

 

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